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Volvo Ocean Race: la casse en question

La cinquième étape de la 11e édition de la Volvo Ocean Race, entre la Nouvelle-Zélande et le Brésil, a connu le plus important nombre d’avaries au sein de la flotte à ce jour. Après un parcours de 6700 milles, un seul bateau –  PUMA Ocean Racing – est arrivé indemne.

Telefónica, deuxième à Itajaí, a fait un pit-stop technique de 17 heures juste après le passage du Cap Horn. Groupama sailing team, troisième de cette étape, est arrivé sous gréement de fortune. Deux concurrents (Team Sanya et Abu Dhabi Ocean Racing) sont actuellement sur cargo et CAMPER est encore en course après quatre jours d’arrêt pour réparations structurelles au sud du Chili.

Ces avaries ont suscité de nombreux commentaires dans les médias, dans le monde de la voile et sur les forums en ligne. Sont commentés la conception et la construction des bateaux, le parcours de la course, son concept, les zones d’exclusions de glaces, et jusqu’à la période de l’année à laquelle cette étape (celle du Horn) a été disputée.

La Volvo Ocean Race est alors allée à la rencontre de ceux qui sont les plus concernés pour qu’ils s’expriment sur ce sujet : les six skippers.

Chris Nicholson, skipper de CAMPER avec Emirates Team New Zealand, est en train de remonter en course le long des côtes de l’Argentine pour prendre les 15 points de la quatrième place.

Nicholson décrit les bateaux de la dernière génération (sur cette édition, ils le sont tous à l’exception de Team Sanya) comme aussi difficiles à construire qu’à naviguer, mais précise que ce défi fait partie intégrante de la Volvo Ocean Race dans l’esprit de ses fans. Selon lui, ce fait est parfaitement intégré par les marins professionnels qui mènent ces bateaux.

« Vous ne pouvez pas produire des voiliers plus rapides, qui offrent une action aussi passionnante au large et dans les épreuves In-Port. Vous ne pouvez pas offrir la vitesse et des sensations fortes sans qu’il y ait un peu de casse. J’imagine qu’il y a des opinions très différentes ici et là ; mais tous ceux qui naviguent à bord de ces Volvo Open 70 savent très exactement de quoi ils sont capables, » ajoute Nicholson.

« Nous pourrions faire cette course sur des bateaux avec des coques en acier en avançant à 12 nœuds maxi et ne rien casser. Ce serait la meilleure façon de faire fuir le public. J’aime la formule que nous avons actuellement. Elle apporte un vrai challenge et c’est une des raisons pour laquelle cette course attire les meilleurs marins du monde. Ce sont des bateaux plutôt cools mais difficiles – et c’est ainsi que ça doit être à ce niveau de sport. »

Iker Martínez, skipper de Telefónica, est actuel leader du classement général provisoire après 10 manches. Arrivé deuxième au Brésil. Selon Martínez, dans une course autour du monde, de tels dommages sont pratiquement inévitables.
« C’est une donnée que les skippers et leurs équipages doivent prendre en considération dans leurs stratégies de course.

« Les bateaux subissent des avaries car ils sont très rapides. Ils peuvent facilement atteindre 40 nœuds. Pour ne subir aucun dommage à cette vitesse, le bateau devrait être très solide, et donc pas idéal pour gagner une course autour du monde. La meilleure façon de gagner cette course est d’avoir un bateau très rapide et de lever le pied quand il faut. Nous avons ce type de bateau, nous nous battons avec lui. Nous devons prendre tout ça en compte et c’est tout. »

Qu’en pense Mike Sanderson, le skipper de Team Sanya ? L’équipage a dû rebrousser chemin quelques jours après le départ d’Auckland. Le bateau du team chinois est le seul qui ne soit pas de la nouvelle génération puisqu’il a disputé la course en 2008-09. Sanderson a également remporté l’édition 2005-06 à la barre de ABN AMRO ONE.

« La casse est absolument inévitable étant donné le niveau de performance des Volvo Open 70, notamment ceux de la dernière génération. Quand ils vont vite, ils tapent très durement sur l’eau. Il suffit de prendre une seconde et regarder ce que ces gars-là font encaisser à leurs bateaux. Parfois, ils n’ont même pas à faire un effort, vous savez. Parfois, ils essaient de ralentir le bateau mais ils n’y arrivent pas. Ces voiliers sont incroyables. »

Sanderson affirme que les dommages sur les  bateaux ont toujours fait partie de la Volvo Ocean Race et a évoqué son expérience dans l’édition 2005-06.

« C’était la première fois que les Volvo Open 70 étaient utilisés dans cette course et nous avons eu beaucoup de problèmes, en particulier avec la quille, » se rappelle le Kiwi.  Nous avons essayé de nouvelles choses qui n’avaient pas été testées auparavant et il y a eu des défaillances. Mais il y avait aussi des performances spectaculaires et des distances parcourues – en 24 heures – comme personne n’en avait connues auparavant, en particulier en monocoque. »

Ian Walker est le skipper d’Abu Dhabi Ocean Racing. Son bateau vient d’être chargé au Chili sur un cargo pour rejoindre Itajaí, où le team procédera à la réparation d’un délaminage de coque. Walker souligne que la casse n’est pas un phénomène nouveau et relativise en rappelant les avaries de la précédente édition.

« En 2008-09, nous n’avions eu qu’une étape difficile, celle qui menait la flotte vers la Chine au départ de Singapour. Il ne faut pas oublier que trois bateaux se sont brisés sur cette étape et que les autres se sont arrêtés. »

Walker déclare cependant que le fait que seul PUMA, le vainqueur de cette étape, soit arrivé indemne, est un signal fort. Quelque chose ne va pas. « Nous – pas seulement nous, mais toutes les équipes – ne semblons pas être en mesure de passer au travers des conditions difficiles de cette course. Avant le début de l’étape 5, ça allait encore. Nous n’avions pas eu trop de casses jusque là. Mais quand vous regardez cette étape, il faut bien se dire qu’on ne peut pas continuer comme ça. »

Walker ne met pas en cause les paramètres de conception ni la qualité de la construction des bateaux.

« Je ne pense pas que vous puissiez blâmer les règles de course et je pense que ces bateaux sont tous très bien construits. Je pense juste que nous les poussons tellement fort, et que les bateaux sont si raides et si légers, que la rupture est inévitable avec les matériaux utilisés. »

Franck Cammas, le skipper de Groupama sailing team, est arrivé troisième à Itajaí. C’était sous gréement de fortune, après avoir vu s’échapper la victoire à deux jours de l’arrivée suite à un démâtage.

« À chaque nouvelle génération de Volvo Open 70,  les équipes essayent de faire des bateaux de plus en plus fiables et apprennent des erreurs passées. »

Le Français précise que les teams et leurs concepteurs sont parfaitement conscients que prendre des raccourcis pour économiser de l’argent est une fausse économie.

« Nous le savons tous et les experts le savent également : la perte de fiabilité se traduit, à la fin de la journée, par une perte d’argent et de temps. La fiabilité est la chose la plus importante et chaque règle est poussée dans ses derniers retranchements dans cet objectif. »

Cammas dit ne pas croire que cette flotte était moins résistante que celles des courses précédentes. Il précise que les bateaux sont plus poussés à l’extrême en raison du niveau de la compétition de cette édition.

« Les gens ne doivent pas dire que les bateaux sont moins fiables que par le passé, car ils le ne sont pas. Certes, le niveau du plateau de cette édition de la Volvo Ocean Race nous incite à pousser les bateaux plus fort que jamais. Ces Volvo Open 70 vont plus vite que jamais parce qu’ils sont mieux conçus.

« Vous pouvez toujours changer les règles, parfois c’est une bonne chose et peut-être que nous pourrions faire des bateaux plus résistants – mais ne nous faisons pas trop de soucis, tout cela fait partie du sport.

« En Formule 1, s’il n’y avait jamais d’accident, ce ne serait pas la Formule 1. Avec la Volvo Ocean Race, s’il n’y avait pas de casse comme nous en connaissons, nous ne serions pas la course de l’extrême de référence. »

Ken Read est le skipper vainqueur de la cinquième étape sur PUMA Ocean Racing powered by BERG. Il mène le seul bateau à ne pas avoir fait escale pour raison technique sur ces 6700 milles.

« Les bateaux modernes sont sans doute trop rapides et les conditions de navigation dans les mers australes ont été telles que les barreurs ont passé la plupart du temps à essayer de ralentir pour éviter d’endommager le bateau.

« Dans ces moments-là, l’élément humain doit prendre la main et dire : ‘Écoutez, il y a une limite à ne pas dépasser pour mener ces bateaux à ce rythme avant que les choses ne tournent au vinaigre.’

« Atteindre les 40 nœuds est la chose la plus stupide que vous pourriez faire, parce que vous seriez hors de contrôle. Mais parfois vous n’avez pas le choix, un couple de grosses vagues vient vous chercher et tout à coup vous êtes à la rue. Vous devez faire tout votre possible pour empêcher le bateau de décrocher. »

Malgré son arrivée indemne à Itajaí, Read assure devoir beaucoup au hasard.

« Il y a une énorme quantité de chance impliquée. C’est comme un accident de voiture – si j’avais quitté la maison une dizaine de secondes plus tard, ma voiture n’aurait pas été dans cette position et rien ne serait arrivé. Si quelque chose s’était passé juste avant et vous n’étiez pas sur cette vague à ce moment-là, le bateau ne se serait pas envolé, vous ne vous seriez pas écrasé sur l’eau, et vous n’auriez pas cassé la bateau en deux. »

Read attribue la plupart des dommages subis par la flotte au niveau de la compétition entre les équipes dans cette édition.

« La course est devenue si concurrentielle qu’elle nous oblige à pousser plus fort dans des conditions où nous ne le ferions pas normalement. Pour gagner, vous devez être sur le fil en permanence. Se retenir signifie s’enlever les 10 %, qui font que vous êtes passé du ‘complètement hors de contrôle’ à ‘un petit peu hors contrôle.’

« C’est la nature de la compétition humaine que de pousser les limites. Vous pouvez casser n’importe quoi, mais vous devez conserver votre instinct de survie qui vous murmure à l’oreille ‘fais une pause maintenant car c’est comme ça que tu vas perdre la course.’ »

Positions et Classement de l’étape 5 – Auckland-Itajai – ce 13 avril à 12h (HF)

  1. Puma (Ken Read) : 19j 18h 09′ 50 – arrivé
  2. Telefonica (Iker Martinez) : 19j 18h 22′ 28 – arrivé
  3. Groupama 4 (Franck Cammas) : 23j 12h 58′ 44 – arrivé
  4. Camper (Chris Nicholson) : à 1 139 milles de l’arrivée

Abandon : Abu Dhabi (Ian Walker)
Abandon : Sanya (Mike Sanderson)

Classement général après 9 épreuves
Après 4 étapes océaniques et cinq régates « in-port » (+ pts Etape5)

  1. Telefonica (Iker Martinez) : 1+30+6+29+2+27+6+20+1= 122 pts (+25 pts)
  2. Groupama 4 (Franck Cammas) : 2+20+2+18+5+24+2+30+4 = 107 pts (+20 pts)
  3. Camper (Chris Nicholson) : 4+25+5+24+4+18+3+15+6 = 104 pts (+15 pts ?*)
  4. Puma (Ken Read) : 5+0+4+19+3+17+5+25+5 =  83 pts (+ 30 pts)
  5. Abu Dhabi (Ian Walker) : 6+0+3+10+6+14+4+10+2 = 55 pts (0 pt – ABN)
  6. Sanya (Mike Sanderson) : 3+0+1+5+2+5+1+5+3+0 = 25 pts (0 pt – ABN)

*Sous réserve que Camper termine cette cinquième étape.

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Crédit Photo: Yann Riou/Groupama Sailing Team/Volvo Ocean Race

– CP –

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