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Corentin Douguet: Dans la peau d’un solitaire

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08/2010 –

De retour à la vie de terrien, Corentin Douguet raconte comment il a réussi à monter sur le podium de la quatrième étape de la Solitaire du Figaro. Une course d’acharné qui lui a réussi… et lui a permis d’accéder également au podium du classement général. Nuits noires sans sommeil, empannages dans la brise, bagarre au contact… c’était cela sa magnifique Solitaire !

15 Août
9h: petit déjeuner. L’escale a été longue et je suis bien reposé.

10h: comme chaque jour depuis qu’on est là, une petite séance de rameur et de natation à l’hôtel en compagnie de Yann Elies.

11h: je prends connaissance des infos météo envoyées par Jean-Yves Bernot et le pôle France, ça s’annonce rapide!

16h45 : briefing météo du pôle France. Jean-Yves nous confirme que ce sera rapide et musclé.

18h : briefing de la course.

21h30 : dernier point météo. On va vraiment avoir de belles conditions pour cette dernière étape. Objectif : attaquer, attaquer et attaquer. Je veux vraiment rentrer dans le Top 10.

16 Août

8h30 : météo. Pas de grand changement, les modèles ne sont pas tout à fait d’accord sur le timing des différents phénomènes. Je discute avec Jean-Yves Bernot au téléphone, il me confirme que trouver le bon point d’empannage en mer celtique ne sera pas facile.

11h : j’arrive au bateau, tout est prêt, comme d’habitude. Merci Donatien.

11h30 : je quitte le ponton, Kinsale est vraiment un bel endroit.

14h : premier départ et premier rappel général.

14h30 : le troisième départ est le bon.

15h30 : je me suis plutôt bien sorti du petit parcours et passe 10ème à la bouée Radio France. Maintenant il y a 45 milles à faire en tirant des bords pour aller jusqu’au Fastnet.

21h : Après un grand bord au large, nous sommes maintenant près des falaises Irlandaises. La nuit tombe doucement et le crachin s’invite à la fête. Je suis toujours dans le Top 10. Brit Air est juste derrière moi et Macif juste devant.

23h : Il fait nuit noire, et nous sommes quelques uns à nous glisser dans un passage de 300 mètres de large entre Clear Island et l’Irlande. Le courant y est favorable.

17 Août

01h : Le halo du phare du Fastnet est juste au-dessus de nos têtes, sa corne de brume retentit, la nuit est parfaitement noire, c’est presque irréel.

Pointage au Fastnet : 1er:Cercle Vert, 2e:E.Leclerc Mobile, 3e:Groupe Bel, 4e:Brit Air. Passer entre Clear Island et l’Irlande était un coup payant.

C’est parti, le flotte explose en une demi-heure, certains glissent tout de suite sous spi sur la route directe, et d’autres gardent le génois plus longtemps pour se décaler légèrement dans l’Ouest. Il y a des bateaux partout.

02h : ça y est, j’envoie le spi. J’ai des bateaux des deux côtés. Je gagne du terrain sur ceux qui sont dans mon Est et je n’en perd pas sur ceux qui sont à l’Ouest. Je dois donc être au bon endroit.

06h : le vent a forci régulièrement dans la nuit – il y maintenant 28-30 nœuds (Force 7) – et s’est orienté au Nord-Ouest. Avec le grand spi et la grand-voile haute, on va vite, mais il faut rester vigilant car la mer est croisée. Je commence à me dire que l’empannage n’est plus très loin. Dans ce type de condition, ce n’est pas une manœuvre facile, il ne faudra pas se rater.

06h30 : Il ne fait plus totalement nuit et j’envoie l’empannage dans un surf. Ça passe nickel. J’apprendrai plus tard que certains ont cassé leur tangon et/ou leur spi dans la manœuvre.

07H30 : Le jour se lève doucement et avec mes jumelles je peux identifier les bateaux autour de moi. Le plus proche, un peu à mon vent, est Brit Air. La mer est un peu plus facile sur ce bord là, il y a toujours 30 nœuds de vent, mais le pilote automatique s’en sort assez bien, alors je prends mon petit déjeuner.

C’est vraiment une belle journée de glisse, le vent reste consistant et le soleil revient. Nous sommes juste derrière le front et nous avançons avec lui. En fin de matinée, le vent vire plus au Nord que prévu, et Armel profite de sa position à mon vent pour se recaler devant moi.

La plupart de nos concurrents ont empanné un peu tard, comme ils sont un peu plus loin du front, ils ont toujours un peu moins de vent que nous (E.Leclerc Mobile, Brit Air et les deux Macif). Au petit matin, je voyais de nombreux spi derrière nous, en fin d’après-midi, il n’y a plus personne.

En fin de journée, le vent mollit, comme prévu, à l’approche de la Bretagne. Je suis toujours calé dans la roue de Brit Air, l’écart entre nous évolue peu. J’arrive à dormir deux fois 15 minutes.

18 Août

Il fait nuit noire, il n’y a plus que 8 à 10 nœuds de vent, et nos bateaux glissent sur une mer plate. Je ne vois plus que les feux de Brit Air et des deux Macif. Nous approchons Lizen Ven Ouest, la bouée que nous devons contourner avant de faire route vers Cherbourg. Je reviens fort sur Armel, je ne suis plus qu’à quelques longueurs de bateau, moins de 100 mètres. Mais à 1 mille de la bouée, je passe dans un paquet d’algues, j’en ai dans les deux safrans et la quille. Le temps d’enlever tout ça, Armel a repris ses distances.

2h : Armel m’a précédé de quelques minutes à la bouée, François Gabart et Eric Péron sont passés, mais ont perdu un peu de terrain car ils ont empanné trop tôt. Et puis… plus rien à la VHF, personne ne s’annonce, pas de lumières sur l’horizon. Gildas Morvan s’annonce quasiment une heure après nous. Je sais que le vent va se renforcer en s’éloignant de la pointe de Bretagne, donc l’écart va encore se creuser.

5h : la direction de course donne le classement à la VHF : Morvan est à plus de 5 milles, Kito de Pavant à 8 milles et ainsi de suite. Les écarts sont déjà conséquents. Je n’ai pas le classement général à bord mais je sais que j’étais à 1 heure du troisième en partant de Kinsale. Donc je sais que le podium est à ma portée, c’est bon ça !

8h : Je dors deux fois quinze minutes, je prends un bon petit déjeuner, je me lave les dents. Je suis plutôt en forme, et je sais qu’il va falloir vraiment s’arracher aujourd’hui. C’est encore trop tôt pour prédire les écarts à l’arrivée, alors je vais y aller à fond pour ne rien regretter au cas où il me manquerait quelques minutes ou secondes.

Je passe la journée à la barre, l’écoute à la main. J’écoute un peu de musique et je fais de courtes pauses quand je sens que la concentration baisse. Une heure de sommeil en 48 heures, c’est peu, mais il faut savoir se faire mal sur cette course. Le vent remonte doucement (20 nœuds) à l’approche des anglo-normandes.

20h : on est dans le Raz Blanchard, le courant est déjà fort, le vent remonte à 30 nœuds, et la mer, avec le vent contre le courant, est démontée. Il faut empanner une dernière fois avant d’aller vers Cherbourg. Il ne faudrait pas tout gâcher. Un bon surf à 15 nœuds et c’est parti, un petit coup de barre, la Grand Voile passe d’un bord sur l’autre, je stabilise le spi et je pars à l’avant pour changer le tangon de côté. Nickel.

20h30 : Armel est devant moi, pas très loin, mais suffisamment pour que je ne puisse plus aller lui contester la victoire d’étape. Je l’appelle à la VHF pour le féliciter. On se connait bien, on a même été colocataires il y a quelques années. Il a été impressionnant pendant toute la Solitaire.

21h18’28 » : je franchis la ligne d’arrivée 3 minutes et 4 secondes derrière Brit Air. Ce n’est pas encore officiel, mais comme, en-dehors des deux Macif, je ne voit aucune voile à l’horizon, je suis presque sûr que ça va le faire pour le podium général. Trois ans après celui de 2007, c’est énorme.

Cette Solitaire est ma plus aboutie. J’ai vraiment été régulier (7e, 24e, 5e et 2e), mis à part une option qui n’a pas payé au passage de Belle-Ile lors de la deuxième étape. Après une année 2008 où j’étais totalement passé au travers, et une année 2009 où j’avais fait fausse route sur le développement de mes voiles, ce qui m’avait empêché de me bagarrer aux avant-postes, il m’a fallu beaucoup de travail et de volonté pour retrouver ce niveau de compétitivité. C’est de cela dont je suis le plus fier et cette troisième place finale est une magnifique cerise sur le gâteau.

Il y une citation que j’aime beaucoup, elle est de Mark Twain : « Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait. »

Merci à tous pour votre soutien.

J’espère que ça vous a plu. »

Corentin

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Crédit Photo: Lucile Chombart de Lauwe

– CP –

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