DEFI BIMEDIA – Première Mondiale : Yvan Bourgnon signe le 1er passage du Nord-Ouest, à la voile, en solitaire
Deux mois et six jours : c’est le temps qu’il aura fallu à Yvan Bourgnon pour boucler son défi Bimedia. Parti le 13 juillet dernier de Nome en Alaska, Yvan a rejoint Nuuk, capitale du Groenland, point final de son extraordinaire périple : le passage du Nord-Ouest, qui relie l’Océan Atlantique à l’Océan Pacifique, en passant par les îles arctiques du grand Nord Canadien, sur un catamaran de sport en solitaire, sans habitacle, ni assistance ! Un exploit sportif hors-norme, qui avait également pour but de sensibiliser le grand public aux effets du réchauffement climatique.
Au bout de lui-même…
Yvan Bourgnon, parti le 13 juillet dernier à bord de sa fidèle « Louloutte » pour une nouvelle odyssée, vient à nouveau de prouver qu’il appartient à la race des derniers aventuriers. Pour ce défi givré, il a parcouru 7 500km entre le Pacifique et l’Atlantique, au coeur du cercle polaire arctique, bien au-delà du 70ème parallèle, sur une route océanique inédite. Une voie maritime sur laquelle seuls les immenses brise-glaces ont osé jusqu’ici s’aventurer, et qu’Yvan vient donc d’ouvrir pour la première fois de l’histoire à un petit voilier non habitable d’à peine 6.30m de long sur 4m de large !
Le détroit de Béring, Barrow, la mer de Beaufort, le golfe d’Amundsen ou encore la baie de Baffin : autant de points de repère légendaires sur un parcours jalonné d’éléments hostiles. La pluie tout d’abord, puis le froid polaire, les blocs de glace et les nombreux cailloux qui jonchèrent sa route mais également la faune, avec une omniprésence des ours polaires de plus en plus agressifs car sous-alimentés. Une aventure périlleuse au cours de laquelle Yvan a du naviguer à vue et dormir par tranches de 5 à 10 minutes. Yvan, pourtant aguerri aux épreuves maritimes, le reconnaît : « J’en ai bavé plus que je ne le pensais. Les difficultés se sont accumulées tout au long du parcours. Ce Défi a été à coup sûr le plus difficile de tous ceux que j’ai accompli depuis 7 ans sur « Ma Louloutte », mon fidèle catamaran de sport. Le plus dur, c’était ce sentiment quasiment permanent de ne pas avoir de marge de sécurité : un démâtage et je n’aurais pas eu le temps de confectionner un gréement de fortune avant d’aller me crasher sur une falaise, un dessalage et je n’aurais pas eu assez de sensibilité aux doigts pour redresser mon cata, une ancre qui dérape au mouillage et c’était également le drame assuré, sans moteur. J’ai été aujourd’hui aux limites de ce que l’on peut réaliser avec ce genre d’engin en solitaire. »
Un double défi à vocation sportive et environnementale
Au-delà des éléments naturels, le navigateur a dû également composer avec un timing très serré pour réaliser l’ensemble du passage du nord-ouest en une seule saison. Un subtil équilibre, pour ne pas partir trop tôt en juillet, et risquer de se trouver bloqué par la banquise 4 à 5 jours après le départ, mais ne pas non plus trop traîner pour éviter une fin de parcours dans un froid croissant, avec des risques supérieurs de vents forts, notamment en mer de Baffin, et des nuits de plus en plus longues.
Ce passage maritime nord reliant l’océan Atlantique à l’Océan Pacifique en passant par les îles arctiques du grand Nord Canadien n’était pas navigable il y a encore quelques années. Sous l’effet du réchauffement des eaux et de la fonte partielle de la banquise entre le pôle et le continent, le passage du Nord-Ouest est devenu une route océanique possible, quelques semaines par an. Pour Yvan, qui a fait l’expérience concrète de ce changement, son Défi Bimedia ambitionne aussi de porter un témoignage essentiel sur les conséquences du réchauffement climatique et sur la présence de nombreux déchets océaniques rencontrés sur la route. Ce nouveau pari réussi soutient également un autre message fort porté par l’aventurier depuis 2010, date de sa toute première traversée en catamaran de sport : revenir aux fondamentaux de son sport en naviguant sur un engin non habitable et non motorisé, en avançant à la seule force du vent et en se dirigeant à l’intuition, avec son sens marin hors du commun.
Le Défi de tous les dangers, les moments importants…
13 juillet 2017 : Yvan et sa « Louloutte » quittent Nome à 8h heure française ! Sur cette route qui s’annonce semée d’embûches, une chose est sûre pour Yvan : « Je suis heureux en mer ».
15 juillet 2017 : à 23h heure française, Yvan et sa « Louloutte » dépassent la ligne du cercle polaire du sud vers le nord et entrent officiellement dans le passage du Nord-Ouest ! Un franchissement qui marque une étape importante du Défi Bimedia. Le détroit de Béring est désormais dans les tableaux arrières : « C’est un superbe paysage avec ces massifs montagneux qui se détachent sur fond de ciel bleu. Je suis passé à vue des Iles Diomède, distantes de 3 km, l’une est russe, l’autre américaine. J’imagine que la tension devait être palpable pendant la guerre froide. »
22 juillet 2017 : Yvan, désireux de jeter l’ancre en eau peu profonde, se fait peur lors de sa manoeuvre d’approche sous 15 à 18 noeuds de vent. « Le taquet s’est arraché. J’ai été surpris et j’ai aussi essayé de retenir l’ancre. Déséquilibré, je me suis retrouvé à l’eau, avec ma combinaison entrouverte. L’eau qui entrait alourdissait mes jambes. J’ai lutté pour réussir à me hisser à bord. Une fois remonté, j’ai grelotté pendant 3 heures dans mon duvet et difficilement récupéré ! ».
24 juillet 2017 : « Je me suis aperçu que mon panneau arrière, le seul que je peux orienter en fonction du soleil, ne charge plus normalement. Je pense qu’il s’agit d’un problème de régulateur et que je dois le changer ». En Mer de Beaufort, Yvan longe le Canada et choisit l’île Hershel du territoire du Yukon, où ont séjourné les baleiniers américains de 1889 à 1908, pour s’abriter le temps de réparer le régulateur : « Je dois être au calme pour bricoler et un stop au mouillage s’impose. Je pense être à l’arrêt une dizaine d’heures. ».
30 juillet 2017 : A l’entrée du golfe d’Amundsen, qui fût le premier explorateur polaire Norvégien à réussir une expédition dans le passage du Nord-Ouest entre 1903 et 1905, Yvan observe son premier ours polaire : « Je naviguais avec pas mal de glaçons à vue au nord de cap Parry, quand j’ai distingué la silhouette d’un ours blanc. Il était seul sur un glaçon d’une cinquantaine de mètres. Le temps que je manoeuvre pour m’en approcher, il avait disparu ».
6 août 2017 : Les pilotes sont dans le dur, après 2011 miles parcourus. Après le répétiteur d’angle de barre qui a rendu l’âme quelques heures auparavant, c’est l’un des vérins du pilote secondaire qui a lâché. Une escale au mouillage sous le vent de Hat Island s’impose pour remettre en état ces alliés indispensables.
16 août 2017 : Yvan est contraint de séjourner à Taloyoak, au nord du Canada. « Je suis là depuis déjà une semaine et pour l’instant la situation n’a pas évoluée positivement. Certains points de banquise libérés se sont même provisoirement reformés. Je me rassure par des statistiques. Depuis une dizaine d’années, le passage s’est toujours ouvert ! Ce qui est sûr c’est qu’ici le froid, la neige et le verglas reviennent dès début septembre, il vaut mieux ne pas traîner trop dans le coin. » Un repos forcé qui lui a permis de remettre le bateau en ordre de marche et reprendre des forces. « Pour la première fois depuis que je navigue, je suis mis à l’épreuve du stress. Je découvre l’appréhension, la conscience du danger proche. Je me retrouve, des heures durant, le ventre noué avec l’impossibilité de trouver des moments pour me détendre. En arrivant à Taloyoak, j’ai vomi mon stress jusqu’au plus profond de mes tripes. Que m’arrive-t-il ? Aurais-je trouvé mon Everest ici dans le Grand Nord ? ».
20 août 2017 : 36 miles à parcourir avant la prochaine baie avec des vents de face. La certitude de ne pas y arriver avant la nuit et la présence de growlers dérivant sur sa route, ont conduit Yvan à se rabattre sur Paysley Bay. Là, par vent très faible et par 2 mètres de fond, Yvan s’est endormi quand des détonations puissantes l’ont fait sursauter : « On aurait dit des explosions à la dynamite comme pour déclencher les avalanches en montagne. J’ai fait le tour du bateau et constaté que j’étais entouré d’une centaine de growlers qui en éclatant à cause des différences de température, provoquaient ces véritables détonations ! »
23 août 2017 : Reculer pour mieux passer entre glaces et îles Tasmania. Après avoir viré près de 150 fois pendant les 36 derniers miles à 1.6 nœuds de moyenne, Yvan arrive enfin à mouiller. Mais 3 heures plus tard, il rencontre une concentration de glace telle que le passage n’est plus possible. Il décide de faire demi-tour et de rejoindre la baie qu’il avait quittée : « C’est assez déprimant de voir que le temps passe et me rapproche de la mauvaise saison, et de revenir sur mes pas. Pour grappiller de malheureux miles, j’expose « Ma Louloutte » à des collisions dangereuses avec les glaçons et risque de me faire enfermer au milieu d’eux. Le plus sage est de revenir à mon point de départ de ce matin ».
24 août 2017 : Après son demi-tour hier, Yvan a retrouvé la petite baie qui l’avait déjà abrité la nuit précédente. A l’aube, le réveil fut terrible ! Autour de « Ma Louloutte », des plaques de glace dérivantes ont doucement envahi la baie pendant le sommeil du marin : « Quand je me suis réveillé c’était déjà trop tard ! Les glaces bloquent la sortie de la baie, et je suis totalement impuissant devant cette situation. J’ai un peu craqué j’avoue. Je me suis tellement battu depuis quelques jours pour quelques misérables miles, c’est la première fois que je fais demi-tour depuis le début de ma carrière de marin. Et là, c’est la pire des situations, le défi pourrait s’arrêter là si le vent ne m’aide pas. Je suis vraiment sur un fil. »
3 septembre 2017 : Après 12 jours de pause forcée et 3 tentatives manquées pour franchir le bouchon de glaces qui bloque le passage à quelques miles de ce mouillage, Yvan avait dû se résoudre à patienter : « Le froid, le givre, la neige même, ont rendu cette attente compliquée et très rude, physiquement et mentalement. La nature veut me remettre à ma place et me montrer qui commande. » Après une douzaine d’heures de navigation au près, souvent entouré de glaçons, Yvan est arrivé à hauteur du Détroit de Bellot, sous la neige et par moins 2°. L’incertitude qui pesait sur le Défi Bimedia depuis plusieurs jours est presque totalement dissipée.
7 septembre 2017 : Depuis son entrée dans le détroit de Lancaster et la fin de la montée vers le nord, Yvan avait vraiment la sensation de faire route directe vers le but. Mais voilà qu’aujourd’hui, « Ma Louloutte » sous la menace d’une dépression très creuse avec des vents prévus de 50 nœuds, doit se mettre à l’abri une nouvelle fois et probablement pour au moins 4 jours ! « Le sort s’acharne sur moi. Je suis gelé, il n’y a pas de soleil depuis 5 jours, et de ne plus avancer c’est carrément déprimant. Je n’arrive même pas à maintenir mon eau liquide en mettant les bouteilles dans mon duvet ; du coup je ne m’hydrate pas assez et j’ai des crampes violentes. »
11 septembre 2017 : La tempête a tenu ses promesses au mouillage de Hatt Bay, et les 60 nœuds des rafales sont les plus élevés depuis le début du défi. « Pour éviter de me retrouver à l’envers cette fois-ci j’ai rempli d’eau de mer des bidons et jerricans, pour alourdir les flotteurs. 200 kilos de chaque côté ! Ça a aidé à maintenir le bateau à plat dans les longues heures de tempête. »
16 septembre 2017 : Dans la nuit de vendredi à samedi, au mouillage, Yvan s’est allongé sur son banc couchette, essayant de dormir malgré le froid rude. Soudain, alerté par une position inhabituelle du bateau, dont les étraves plongeaient sous la surface et les tableaux arrières s’élevaient 1 mètre au dessus de l’eau, Yvan a bondi hors de son abri de toile. Dès que ses yeux se sont habitués à l’obscurité, ses craintes se sont avérées fondées : « Devant moi au niveau des étraves, un ours polaire avait les deux pattes posées sur le pont de la coque bâbord qui s’enfonçait sous l’eau. J’ai immédiatement pris mon pistolet qui reste toujours à mes côtés quand je dors, et tiré un pétard au dessus de sa tête, comme prévu dans la procédure, pensant l’effrayer par le bruit. Il n’a pas bougé, totalement impassible, alors que mes oreilles sifflaient tant le bruit était assourdissant. Dans le même temps, je n’ai pas cessé de hurler vers lui, comme on me l’avait conseillé. J’ai retiré sans plus de succès… Là j’étais tétanisé par la peur de voir le moindre signe de déplacement de l’animal, et pendant une ou deux minutes qui m’ont semblé une éternité, nos regards se sont croisés et, la mort dans l’âme, j’ai envisagé de m’emparer de mon fusil, sentant ma vie en danger. C’est alors que très calmement sans aucun signe de crainte, l’ours a relâché la coque du bateau qui a retrouvé son assiette normale. Il a tranquillement glissé dans l’eau et je l’ai suivi des yeux tant que j’ai pu malgré l’obscurité. Je suis resté à genoux sur mon banc pendant de longues minutes, tremblant comme une feuille, conscient d’être passé près de la catastrophe. J’ai attendu l’aube, sursautant au moindre bruit, et fouillant les profondeurs de la nuit sans lune à 360°. Là je me suis endormi malgré mes craintes. Plus jamais je ne me sentirai en sécurité au mouillage. »
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– CP –
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