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Route du Rhum-Destination Guadeloupe 2018 : Stress à tous les étages

Si la Guadeloupe se prépare à accueillir à partir de demain une nouvelle salve d’arrivées, la tension règne encore sur l’Atlantique du Nord au Sud. Le chavirage de Lalou Roucayrol (Arkema) la nuit dernière rappelle qu’on ne badine pas avec l’alizé lorsqu’il charrie des grains noirs sur la route. Et pour gagner ces vents portants, ce qui reste la problématique d’une trentaine de concurrents encore au Nord de Madère, il va falloir composer avec de nouveaux fronts actifs, leurs vents de Sud, et leur mer chaotique.

Le temps s’étire à Pointe-à-Pitre depuis la folle arrivée des deux premiers ULTIME dans la nuit de dimanche à lundi et ce n’est qu’à partir de jeudi midi (heure de Paris) qu’Armel Tripon est attendu en approche de la Guadeloupe.

Si le skipper de Réauté Chocolat capitalise encore 300 milles d’avance sur ses poursuivants Vauchel-Camus (Solidaires en Peloton – ARSEP) et Le Roux (FenêtréA-Mix Buffet), la navigation entre les grains dans une mer croisée devient particulièrement rock’n roll et stressante pour le leader.

Le chavirage cette nuit de Lalou Roucayrol rappelle malheureusement qu’entre glissade et soleil, la frontière est ténue sur ces dragsters de 50 pieds. Après un premier appel à 6h30 TU à son équipe, Lalou a donné de plus amples nouvelles sur son téléphone iridium de secours à 11h30 TU. Après avoir dégagé le gréement sous la plateforme retournée, le skipper d’Arkema est en sécurité avec 10 jours de réserves d’eau. A mille milles de l’arc antillais, loin des routes commerciales, la situation du trimaran reste néanmoins problématique. La direction de course a dérouté Pierre Antoine, leader des Rhum Multi, mais son trimaran Olmix est encore à 300 milles de la position d’Arkema. Lalou Roucayrol qui a déjà connu cette mésaventure, semblait d’accord ce soir pour évacuer son navire, alors qu’une opération de remorquage depuis La Martinique est actuellement à l’étude, ce qui pourrait mettre quatre jours.

Armel et Alex pour une grande première

Quelques 12 heures après l’arrivée d’Armel Tripon, le premier IMOCA devrait à son tour faire son entrée dans la baie de Pointe-à-Pitre. Comme pour Armel, c’est une première grande victoire qui s’annonce pour Alex Thomson (Hugo Boss) dans la Route du Rhum-Destination Guadeloupe. Comme en Multi50, rien n’est fait pour le podium, d’autant que les poursuivants du Gallois devraient faire le tour de la Guadeloupe de nuit vendredi…

Au-delà des symétries sportives, l’Atlantique est encore bien contrastée ce mercredi. En dessous du 25ème degré de latitude, l’alizé va continuer à pousser les leaders de la Class40 et des deux catégories Rhum. Mais il sera entravé par le passage de deux fronts froids actifs, le second perturbant la situation jusqu’aux Canaries.

Le long du Portugal, les retardataires en Class40 et IMOCA vont devoir une nouvelle fois composer avec des vents de Sud violents et une mer dure. En ULTIME, Romain Pilliard (Remade Use it Again !) qui bagarre à la hauteur de Madère pour solutionner ses problèmes de cadène n’a donc pas encore gagné son ticket pour l’alizé. Un ticket que Thomas Coville cherche à valider au large du Sahara Occidental où Sodebo Ultim’ tricote pour s’échapper du marasme canarien.

Ce soir, 28 skippers ont officiellement abandonné. 8 autres sont en escale. 87 sont en route pour Pointe-à-Pitre.

IMOCA : Derniers empannages
En tête, Alex Thomson a placé son dernier empannage avant d’atterrir sur la Guadeloupe et devrait être suivi dans l’après-midi par le quatuor de prétendants au podium. Derrière, l’alizé perturbé ne fait pas l’affaire de tous alors que deux sévères dépressions s’apprêtent à chahuter les derniers concurrents repartis lundi des côtes françaises.

La partie semble si facile qu’on imagine sans doute mal l’effort constant que produit Alex Thomson pour maintenir des moyennes aussi élevées. Avec pudeur, le gallois reconnaît juste que « ces IMOCA sont difficiles à freiner ! » alors qu’il reste encore quelques 600 milles à courir jusqu’à l’arrivée, « l’équivalent d’un Fastnet » re-situe le skipper. Comme tous, Alex est crevé, se disait un peu « nerveux » ce midi, et la perspective d’une arrivée en soirée jeudi à la Tête à l’anglais n’est pas pour le relaxer

On ne sait que trop depuis l’incroyable finish entre MACIF et Idec Sport le caractère aléatoire de la navigation de nuit autour de l’île papillon, même si Alex compte tout de même plus de 160 milles d’avance sur ses poursuivants. L’arrivée du trio Meilhat-Riou-Eliès, prévue en journée pourrait révéler quant à elle des rebondissements et l’ordre du podium n’est pas garanti. Un podium dans lequel cherchera à s’inviter Boris Hermann toujours cinquième, jusqu’au dernier moment.

De nouveaux fronts

Quand les leaders pointeront leurs étraves vers la Guadeloupe, le second groupe devra composer avec un alizé perturbé par les fronts froids qui balaient à partir de ce soir tout l’Atlantique jusqu’à 25° de latitude Nord. Grains, ciel couvert, mer croisée et pannes de vent momentanées sont à prévoir en bordure des hautes pressions. Les conditions ne seront pas reposantes et peuvent redistribuer pas mal les cartes entre Damien Seguin, Alan Roura et Stéphane Le Diraison qui devront beaucoup manœuvrer pour maintenir une bonne cadence. L’occasion pour Arnaud Boissières de revenir dans un match dont il est sorti à hauteur de Madère ? Toujours aux prises avec ses problèmes de dessalinisteur, le skipper de La Mie Câline Artipôle « échangerait bien 300 milles contre un verre d’eau » ! Conscient du menu météo changeant, il va tenter de plonger au Sud pour provoquer la chance…

Baston pour les Nordistes

La situation météo toujours hivernale sur le proche atlantique au dessus du 30ème degré Nord intéresse au premier chef les retardataires juste sortis du golfe de Gascogne. Romain Attanasio est le plus offensif, en se décalant clairement vers l’Ouest. Il devrait toucher les forts vents (40 nœuds fichier) de Sud le premier mais la configuration stationnaire de la dépression très creuse et l’orientation de sa traîne invitentd’abord à gagner dans le Sud. C’est ce que cherchent à tout prix Manuel Cousin et Alexia Barrier qui veulent avant tout finir cette Route du Rhum. « Le match, c’est déjà d’arriver à Pointe à Pitre ! » s’exclamait ce midi à la vacation Alexia qui peut s’attendre à un louvoyage spécielement musclé le long des côtes ibères.

Pendant ce temps, Jérémie Beyou qui a tourné la barre la nuit dernière à cause de problème d’énergie, continuait sa route vers Lorient qu’il devrait atteindre en fin de nuit prochaine.

Multi50 : Les tropiques pour le meilleur et pour le pire
Les alizés sont le royaume des contraires. Lorsqu’ils sont réguliers, que le ciel est dégagé et la mer encore sage, c’est le paradis. Mais quand les grains viennent gripper la mécanique d’Eole, alors c’est le purgatoire. Ce matin à 7h30 (heure locale), à 1000 milles de la Guadeloupe, Lalou a chaviré dans une survente. Lui qui avait pris ses précautions en début de course en s’arrêtant à Porto pour laisser passer le mauvais temps s’est fait piéger sous les tropiques si près du but.

Olmix et cargo déroutés

La Direction de Course et le Cross Gris Nez ont pris les opérations en main pour aller à la rencontre d’Arkema – Lalou n’a pas déclenché de balise de détresse et devait procéder ce matin à l’inspection de son bateau – en déroutant un cargo ainsi qu’Olmix, le premier des Rhum Multi actuellement à 300 milles dans le nord-est du trimaran chaviré.

Ce matin, les navigateurs joints à la vacation exprimaient leur déception pour Lalou. Un véritable esprit de solidarité anime cette classe. Au delà des égo et des performances individuelles, les skippers des Multi50 avaient tous envie que les six bateaux soient présents à l’arrivée.

La pire nuit pour Tripon

La libération est proche pour le leader Armel Tripon qui n’a fait qu’accroitre son avance depuis qu’il a pris l’ascendant le 9 novembre au large des Canaries. Le skipper de Réauté Chocolat est attendu demain jeudi vers 7h00 du matin à la Tête à l’Anglais (vers midi heure de métropole). A priori, aucune pression pour lui dans contournement de la Guadeloupe qui avait joué tant de tours à François Gabart et Francis Joyon.

Armel peut se « reposer » sur un matelas de 300 milles , son avance sur Erwan Le Roux. Se reposer n’est d’ailleurs pas le terme juste. « J’ai passé la pire nuit en mer depuis le début de la course » déplorait Armel contacté ce matin. Des grains à 35 nœuds et une mer forte l’ont même contraint à lever le pied et à enrouler son gennaker cette nuit. Ce matin, Réauté Chocolat n’avançait qu’à 11 nœuds… on imagine le bateau sous-toilé pour une progression prudente vers l’île Papillon.

Quelques centaines de milles dans l’Est, l’atmosphère est diamétralement opposée pour les poursuivants Erwan Le Roux, Thibaut Vauchel et Gilles Lamiré, attendus dans cet ordre dans la journée de vendredi en Guadeloupe. Ces trois là s’ébrouent au portant dans des conditions de glisse idylliques. Enfin, dans le Sud-Ouest des Canaries, c’est une épreuve de patience pour Thierry Bouchard, qui en a encore pour 6 jours de mer avant de sentir les premiers effluves de Basse Terre…

– C El Beze –

Class40 : Tricotage tropical
La flotte des Class40 est très dispersée sur l’Atlantique avec le nouveau départ de plusieurs solitaires ce week-end : quand les leaders ont largement dépassé la mi-parcours, les nouveaux arrivants sont encore au large du cap Finisterre ! De fait, les conditions de navigation sont très différentes surtout qu’une dépression est en formation sur Madère. Des alizés devant, un coup de vent derrière…

Si le grand ruban des alizés déroule le long du tropique du Cancer, il n’en est pas de même à l’arrière de la flotte où l’arrivée d’un front sur Madère va de nouveau générer des vents puissants et une mer dure. Car la quarantaine de Class40 qui vise à rallier au plus vite la Guadeloupe est bien divisée en deux : ceux qui ont débordé Madère et glissent vers le Sud pour accrocher les vents portants, et ceux qui ont choisi une route Nord ou qui n’ont pas encore quitté les eaux portugaises voire espagnoles.

Des alizés à géométrie variable

Car c’est plutôt des conditions habituelles pour une traversée de l’Atlantique dès que le tropique du Cancer a été franchi : un flux de secteur Est d’une vingtaine de nœuds, des grains plus ou moins musclés, des variations jour-nuit, un ciel étoilé avec un morceau de lune en pleine croissance. Conditions idéales ? Oui et non : il faut rester aux aguets particulièrement en début et en fin de nuit lorsque les petits nuages de la journée commencent à se phagocyter les uns les autres, transformant une boule de coton inoffensive en un gros bourgeon plein de rage, de pluie et de noir… Plusieurs skippers ont fait part de virevoltes indescriptibles, de sorties de route brutales, de figures libres peu conventionnelles !

Car derrière Yoann Richomme (Veedol-AIC), impérial en tête de flotte mais avec encore 1 500 milles à couvrir avant la Guadeloupe, ça bataille sérieux entre le Britannique Phil Sharp (Imerys Clean Energy), Aymeric Chapellier (Aïna Enfance & Avenir), Kito de Pavant (Made in Midi), Arthur Le Vaillant (Leyton) et Luke Berry (Lamotte-Module Création). Batailles d’empannages, bagarres de manœuvres parfois olé-olé dans les bourrasques des grains, voiles emmêlées dans l’étai, spinnaker déchiré dans une survente, prises de ris tendues au portant… La température est certes plus agréable et les embruns moins frigorifiques, il n’en reste pas moins que les corps commencent à encaisser une semaine de montagnes russes et plusieurs jours de stress nocturne sous ces boules noirâtres dont on ne sait jamais ce qu’elles apportent. Il y a du maille et parfois du mal quand le solitaire ne peut plus lâcher la barre ou que le Class40 se retrouve couché à 90° !

Le ventre mou
Au large des côtes portugaises, le paysage est bien différent : entre alizé et front brutal, c’est un magma informe qui bloque toute initiative à l’image de Emmanuel Le Roch (Edenred), Claire Pruvot (Service Civique), Carl Chipotel (Pep’ Gwadloup) ou Jean-Marie Loirat (Klaxoon) qui cherchent à sortir d’une bulle sans vent peu habituelle dans ces contrées… Difficile de gagner dans le Sud où un « vasistas » de sortie se dessine et il faut prendre son mal en patience, dans l’attente d’un front tonique se mutant en dépression malveillante. Il faudra se prendre un nouveau coup de tabac dès jeudi sur une mer qui s’annonce peu coopérative !

Les plus en arrière ont encore la possibilité de piquer plein Ouest, histoire de traverser le phénomène au plus court pour se retrouver au septentrion de cette perturbation. Ceux qui ont atteint le cap Finisterre tels le Japonais Hiroshi Kitada (Kiho), l’Italien Andrea Fantini (Enel Green Power), Emmanuel Hamez (Teranga) ou Cédric de Kervenoal (Grizzly Barber Shop) vont devoir faire le dos rond mais au moins, ils pourront contourner cette dépression par son Nord en déboulant au portant pour glisser ensuite plein Sud afin d’accrocher les alizés. Mais ça s’annonce humide !

Enfin, il y a ceux qui n’ont pas d’états d’âme et qui naviguent au cœur du mauvais temps tels les Américains Mikael Hennessy (Dragon) et John Niewenhous (Loose Fish), le Guadeloupéen Rodolphe Sepho (Rêve de Large) ou le Suédois Mikael Ryking (Talanta) : ils vont au-devant d’une belle dépression qui va balayer les Açores ces heures prochaines… Et ils n’auront de véritable pause que le week-end prochain. Bref cette onzième Route du Rhum-Destination Guadeloupe restera dans les annales pour les Class40 par ses successifs coups de vent et ces mers désordonnées, mais aussi par ses alizés tordus et cet enchaînement de manœuvres qui tirent sur les organismes…

– D Bourgeois –

Catégories Rhum : Une flotte apaisée
Du cap Finisterre au Sud Ouest Canarien, c’est une flotte de 13 multicoques et 11 monocoques d’une catégorie Rhum particulièrement apaisée qui fait route, qui vers le sud, qui vers l’ouest. Etalées sur près de 1 500 milles du leader au dernier, ces deux flottes soupirent d’aise aujourd’hui, en profitant d’un alizé certes instable en force et en direction mais bien en place du côté du tropique du Cancer pour les voiliers de tête, ou en glissant sur une mer désormais mieux organisée au large de la péninsule ibérique pour les échappés du golfe de Gascogne.

Tous ces solitaires remettent, chacun à son échelle, la compétition au premier rang de leurs priorités, une fois les caisses à outils remisées, et les ponts bien rangés. Ainsi Sébastien Destremau, peu épargné ces dernières heures par d’étonnantes infortunes de mer, départs au tas et même collision avec un concurrent, ne fait pas mystère de sa ferme intention de revenir sur Sidney Gavignet, solide leader à plus de 200 milles dans son Sud Ouest. Il entend mettre tout en oeuvre pour offrir à ses supporters, un finish à la Joyon! Tout un programme.

L’archipel des Canaries est le théâtre de grandes manoeuvres pour les monocoques qui y croisent, aux prises à des vents évanescents, et à l’impérieuse nécessité de partir au plus tôt vers le Sud, sous peine de voir une longue dorsale anticyclonique les happer ces prochaines heures.

On le voit, la route vers la Guadeloupe est particulièrement longue cette année. A part les leaders en Rhum Mono et Rhum Multi, Sidney Gavignet et Pierre Antoine, l’ensemble de leurs poursuivants continuent de faire plus de Sud que d’Ouest, à coups d’empannages dans les oscillations d’un vent de secteur Nord Est, pile dans l’axe de progression des bateaux en quête de l’angle le moins mauvais pour allier vitesse et gain au Sud Ouest.

A ce petit jeu, les deux plans Walter Greene, Happy de Loick Peyron et Friends&Lovers de François Corre font merveille, à l’aise dans la mer avec leurs fines étraves. Ces deux hommes se livrent un joli duel fratricide, sans pour autant perdre de vue leurs prédécesseurs immédiats au classement, plus longs et plus toilés, mais qu’à plus de 2 000 milles de l’arrivée, ils ne désespèrent pas de venir titiller.

Crédit Photo : Maxime Cauwe / Azeo
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– CP –

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