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VG2020 : un dernier sprint au bout du suspens

« Il est urgent d’attendre », cet oxymore formulé aujourd’hui par Jacques Caraës, le directeur de Course du Vendée Globe, a du mal à éteindre l’excitation qui s’est emparée du public et des équipes face au scénario incroyable de cette fin de tour du monde en solitaire, sans escale et sans assistance. Dans un état de fatigue avancée après 79 jours de régate au contact, les cinq marins en lice pour les honneurs puisent dans leurs dernières réserves pour gagner cet ultime sprint contre la montre. Quelle que soit l’issue de la course, et l’ordre du classement après application des bonifications, ces cinq hommes méritent tous d’être salués pour leur mérite, leur combativité et leur talent.

Charlie Dalin (Apivia), Boris Herrmann (SeaExplorer – Yacht Club de Monaco), Louis Burton (Bureau Vallée 2), Thomas Ruyant (LinkedOut), Yannick Bestaven (Maître CoQ IV). Voici les têtes d’affiche, les premiers rôles de ce 9e Vendée Globe, qui jouent ici leur dernière scène dans le dénouement improbable de notre film de l’hiver. Unis dans leur sort comme les cinq doigts de la main, ils sont attendus aux Sables d’Olonne dans la soirée de mercredi et jusque jeudi au petit matin. Dans quel ordre et à quelle place ?

Pendant 79 jours, ces cinq navigateurs nous ont séduits, impressionnés. Avec son cœur ou sa raison, chacun a peut-être déjà choisi son favori, son champion. Sur l’eau, Charlie Dalin et Yannick Bestaven ont été les deux grands patrons. Le premier réalise une course remarquable de précision et d’efficacité. Il a passé plus de 36 jours aux commandes, et il mène aujourd’hui son monde, à proximité du cap Finisterre. Le second livre aussi une magnifique prestation : 26 jours en éclaireur dans le Pacifique et l’Atlantique Sud, avec une faculté hors pair à faire marcher son bateau (génération 2016) à 100% de ses capacités. Thomas Ruyant, dont le foil bâbord s’est rompu il y a deux mois, est l’autre grand animateur de ce tour du monde. Pour passer 72% du parcours dans le trio de tête, dont une grande partie « à cloche pied », le skipper de LinkedOut a dû se sublimer ! Louis Burton, le galérien sublime, s’est révélé téméraire dans ses choix de route et d’une grande combativité face à l’adversité. Plus discret, mais toujours à l’affût dans la meute des chasseurs, l’Allemand Boris Herrmann pourrait être le premier skipper étranger à remporter le Vendée Globe !
Le temps sera le juge ultime dans ce scénario diabolique. Un scénario qui oblige ces cinq hommes à puiser dans ce qui leur reste d’énergie pour remporter cette course contre la montre, et n’avoir rien à regretter une fois la ligne d’arrivée franchie. Leur physique et leur mental sont pourtant bien entamés par ces 11 semaines de régate au contact où jamais, à aucun moment, les leaders n’ont connu la tranquillité, l’opportunité de gérer sereinement leur avance.

Alors on se prend à les imaginer lorsqu’ils en auront terminé avec ce voyage au bout d’eux-mêmes. Imaginer leurs yeux et les traits de leur visage, marqués par une expérience que nous n’avons pas vécue et qui nous fascine par son extrême éloignement d’avec notre quotidien. En ces temps de confinement, ils ont ouvert les portes d’un monde libre et sauvage, ont ravivé des valeurs nobles : abnégation, combattivité et courage. Ils nous ont raconté milles histoires qui parlent de l’homme et de la nature, de l’humain ramené à ses besoins vitaux : manger, boire, éliminer, dormir, assurer sa sécurité. Ces besoins primaires constituent le socle de la pyramide imaginée il y a presque un siècle par le psychologue Abraham Maslow. Tout en haut de cette pyramide, d’autres désirs apparaissent : l’estime des autres et l’accomplissement de soi. Ce sont vers ces deux sommets que nos cinq marins tendent les bras. Mais quelle que soit leur place dans le classement final, Charlie, Boris, Louis, Thomas et Yannick arriveront aux Sables d’Olonne en hommes et marins accomplis.
Et nous, spectateurs – terriens, n’avons qu’un mot à dire – un mot que ne renierait pas le dernier concurrent à avoir abandonné ce 9e Vendée Globe – : merci !

Mais en attendant les hourras et les vivats, il y a encore de la route à faire ! Plus de 24 heures de navigation dans le golfe de Gascogne, au sein duquel le quintet s’est scindé. Au Sud, Charlie Dalin, suivi par Boris Herrmann, flirtent avec le cap Finisterre et vont longer les côtes espagnoles. En distance au but, c’est la route la plus courte mais elle leur imposera de multiplier les empannages jusqu’à la ligne d’arrivée. Au Nord, Louis Burton, Thomas Ruyant et Yannick Bestaven sont plus éloignés du continent, mais ils peuvent filer sur un seul bord (tribord), poussés par un flux de Sud-Ouest se renforçant à l’avant d’un front. Les projections de routages donnent la clique à quasi égalité au large des Sables d’Olonne. Quelques heures seulement devraient séparer tous ces prétendants aux lauriers entre mercredi soir et jeudi au petit matin. Alors, comme le souligne le directeur de course Jacques Caraës, « il est urgent d’attendre ».

A partir de demain soir (mercredi), les arrivées vont s’enchaîner dans le port vendéen. Derrière le top 5, trois concurrents devraient en finir avec leur tour du monde en solitaire jeudi en fin d’après-midi : Damien Seguin, Giancarlo Pedote et Jean Le Cam. Vendredi 29, ce devrait être au tour de Benjamin Dutreux, actuellement dans le Nord-Est de l’archipel des Açores. Puis, on surveillera comme le lait sur le feu l’arrivée d’une grosse dépression les 30 et 31 janvier, qui risque d’entraver la progression de Maxime Sorel et d’Armel Tripon. « C’est la plus grosse dépression de l’hiver » préviennent Sébastien Josse et Christian Dumard, les consultants météo du Vendée Globe. 65 nœuds en rafales et 12 mètres de creux dans le golfe de Gascogne…

Ils ont dit

Charlie Dalin, Apivia

Je ne me rends pas compte que l’arrivée est dans moins de 36 heures. Je suis concentré sur ma course, sur mes trajectoires, mes séquençages de changements de voile et sur les prochaines heures et obstacles à franchir. Ça fait tellement longtemps que je suis en mer que j’ai oublié que la vie à terre existe vraiment. Mon quotidien est désormais d’être sur mon bateau. C’est un petit peu mon état d’esprit du moment. La ligne d’arrivée me parait encore bien lointaine au vu de tout ce qu’il me reste à faire, surtout la nuit prochaine.

Je suis dans mon terrain de jeu, je connais mieux le golfe de Gascogne que mon propre jardin. Ça fait 10 ans que je sillonne cette zone en large et en travers en Figaro. J’ai l’impression d’être sur une dernière journée de la Solitaire du Figaro.

Benjamin Dutreux / OMIA – Water Family

C’est incroyable ce qu’il se passe en tête de flotte. Je regarde pas mal, c’est intéressant. Le groupe des trois bateaux (Dalin, Burton, Herrmann) se tire bien la bourre ! Je n’ai pas trop de favori, ils naviguent tous super bien. Ces derniers jours de course sont un peu particuliers : il y a de l’impatience et une étrangeté de se dire qu’on retourne dans la vie active. Je trouve le temps un peu long. Je ne suis pas vraiment en mode compétition, je fais attention : cette nuit j’ai tapé un truc dans les safrans. J’ai l’impression que Les Sables d’Olonne sont encore super loin ! Et à la fois, j’ai la sensation que le départ des Sables d’Olonne était hier. Les jours qui restent me paraissent très longs. J’essaie de rester concentré pour le finish, que le bateau aille bien.

Damien Seguin, Groupe APICIL

J’ai du mal à réaliser que j’arrive. Je sais que je serai aux Sables d’Olonne dans deux jours car forcément je regarde les ETA, mais je pense être loin d’arriver dans ma tête. Même si j’en ai envie, je suis encore un marin sur le Vendée Globe, je bataille encore avec des concurrents autour de moi. Cette arrivée va être spéciale, comme toutes les courses, mais je ne vais pas trop l’anticiper, je vais laisser ça à mon instinct sur le moment et je vais essayer de continuer à bien faire ce que je suis en train de faire, c’est-à-dire terminer ce Vendée Globe.

Il faut rester concentré car même si ça parait être de la ligne droite, on va avoir des conditions de vent compliquées, on va retrouver un gros trafic maritime et le golfe de Gascogne n’est jamais quelque chose de facile avec la remontée du plateau continental. Les 48 dernières heures ne vont pas être de tout repos, donc j’ai profité pour emmagasiner un maximum de sommeil cette nuit.

Clarisse Crémer, Banque Populaire X

Je ne me sens pas du tout arriver ! Ça me paraît loin encore. Le vent s’est bien calmé, j’ai eu des claques à 27 nœuds et des molles avec du clapot. Là, j’ai 12-15 nœuds. C’est l’avantage de ma position toute seule : c’est que je peux me réjouir quand ça mollit ! Je commence à être sous l’influence de l’anticyclone, je devrais vraiment m’arrêter. Je devrais mettre 4 à 5 jours pour aller aux Açores. Et puis après, ce sera velu jusqu’aux Sables d’Olonne, il devrait y avoir une grosse dépression mais ce n’est pas très calé en fait. Si Romain (Attanasio) et Jérémie (Beyou) reviennent, je serais obligée d’attaquer dans la dépression, sinon j’irai tranquille, je ne suis pas à 24 heures près.

CLASSEMENT à 15h00 Heure Française

  1. Charlie Dalin, Apivia, à 382.57 milles de l’arrivée
  2. Boris Herrmann, SeaExplorer – Yacht Club de Monaco, à 82.02 milles du leader
  3. Louis Burton, Bureau Vallée 2, à 123.19 milles du leader
  4. Thomas Ruyant, LinkedOut, à 229.93 milles du leader
  5. Yannick Bestaven, Maître CoQ IV, à 266.01 milles du leader

Crédit Photo : JM Liot

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– CP –

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