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VG2020 : au front… ou aux abris

Premier point dur de ce 9e Vendée Globe : le passage d’un front actif cette nuit qui va apporter sa moisson de rafales et de mer croisée. Cap à l’Ouest, une partie de la flotte a opté pour le choc frontal afin de bénéficier ensuite de conditions « favorables » au portant. Plus au Sud, l’autre groupe, emmené par le nouveau leader Benjamin Dutreux (OMIA-Water Family), préfère se protéger de l’âpreté des éléments. En cette fin d’après-midi, tout le monde progressait au près. Les échappés de l’Ouest commençaient déjà à ressentir le souffle de ce coup de chaud dans les voiles, avec 25 nœuds de vent et des creux importants.

Les philosophies divergent, les routes aussi. En ce deuxième jour de course, les 32 marins en mer* forment un groupe disparate : les uns longeant au plus près les côtes espagnoles,  à l’intérieur du  DST du Cap Finisterre (dispositif de séparation de trafic), les autres s’échappant au large à la rencontre du vent fort. Chacun s’est fait une idée de la manière dont il va aborder le front de ce soir. Les marins ont choisi en leur âme et conscience où placer le curseur : aller au front ou faire preuve de prudence.

Vers l’Ouest, la route la plus efficace, mais la plus exposée

Ils sont une petite dizaine à partir « au baston » : Armel Tripon, Thomas Ruyant, Louis Burton en tête, avec à leur vent, un autre petit groupe composé de Sébastien Simon, Boris Herrmann, Alex Thomson et Clarisse Cremer. Ce sont eux qui devraient affronter ce soir les conditions les plus dures. Le vent de Sud-Ouest va prendre de la puissance au fil de la journée, jusqu’à atteindre les 35 nœuds moyens autour de minuit (45 noeuds dans les rafales). Et le terrain de jeu va sérieusement se cabosser avec 4 à 5 mètres de creux qui arriveront aux trois quarts de face après le passage du front.

En fin d’après-midi, le vent de Sud avait déjà pris du coffre – 25 nœuds – sans que les bateaux ne parviennent vraiment à accélérer… Ces occidentaux espèrent que ce ne sera qu’un mauvais moment à passer pour bénéficier ensuite d’une route optimale, au portant,  pour négocier une 3e grosse dépression dans le sud des Açores, entre jeudi et vendredi.

Au sud, la route la plus lente, mais la plus prudente

« Il faut être sage. Ce n‘est pas là que le Vendée Globe se gagne, mais c’est là qu’il peut se perdre » lance Damien Seguin, joint pendant l’émission Vendée Live ce midi, juste après avoir plongé pour dégager un filet de pêche pris dans la quille de son bateau. Et ils sont plusieurs à rejoindre son analyse. Nicolas Troussel, jusque-là proche des occidentaux, n’a pas hésité à traverser le plan d’eau et à parcourir plus de 35 milles cette nuit pour rallier les sudistes. Un revirement coûteux également consenti par Yannick Bestaven qui a modifié sa trajectoire pour passer à l’intérieur du DST du cap Finisterre, au point d’apercevoir la terre.

C’est le choix de la raison. D’autant que la fatigue est là après ces deux premières journées de course certes ensoleillées, mais mouvementées. Les navigateurs ne sont pas encore totalement amarinés. Ils sont en déficit de sommeil et d’énergie. Au  point que Jean Le Cam avouait ce matin avoir fait un « K.O » : il s’est écroulé, endormi pendant plusieurs heures, sans entendre sonner son alarme et s’est réveillé en panique, obligé de virer en catastrophe à 7 milles de la Corogne. « L’idée, c’est d’aller dans le Sud pour ne pas se prendre une trop grosse branlée. Le front s’échappe vers le Nord, je préfère assurer le coup, car il y aura de la mer et des grosses rafales. Je préfère faire du Sud, même si ce n’est pas le plus efficace » résumait-il au téléphone.

Au centre, le compromis

Entre ces deux extrêmes, le reste de l’armada joue le compromis.  Charlie Dalin, Jérémie Beyou, Kevin Escoffier et Sam Davies sont de ceux-là. Et ils étaient les plus rapides en milieu d’après midi. Derrière eux, Isabelle Joschke qui a également incurvé sa route, assumait totalement sa voie de la sagesse : «  J’ai l’intention d’être prudente et d’aller dans des conditions que je considère comme étant maniables » avouait la navigatrice contactée en visio ce mardi matin.

Thêta : une dépression sous surveillance

Elle porte un nom qui semble sorti d’un roman de science-fiction – en réalité, il s’agit de la 8e lettre de l’alphabet grec – et elle a des airs de dépression tropicale. C’est Thêta. Elle se situe au sud des Açores et demeure sous la surveillance de la direction de course et de la cellule météo du Vendée Globe. Elle concernera la flotte dès jeudi. 

Les alizés ne sont pas pour tout de suite et ils vont se mériter !

*Des nouvelles de Fabrice Amedeo

Dans le port des Sables d’Olonne, la réparation sur la fissure de mât de Newrest-Art & Fenêtres est en bonne voie. L’équipe technique en a profité pour vérifier l’intégralité du bateau.  Fabrice a prévu de reprendre la mer ce soir à 22h15. Il devra repasser la ligne de départ, soit laisser la bouée Nouch Sud à tribord.

Ils ont dit

Isabelle Joschke, MACSF 

« Ce qui me taraude, c’est que cette nuit, nous allons croiser un front et une dépression forts. Cela fait 24 heures qu’on joue au chat et à la souris  avec le front pour ne pas casser le bateau. Je suis préoccupée par ça, je vais me reposer au maximum. Tout ce que je peux te dire, c’est que j’ai l’intention d’être prudente et d’aller dans des conditions que je considère comme étant maniables. S’il faut prendre une autre route que les autres, je le ferai. Il y a pas mal de trafic. Avec l’AIS, on peut quand même anticiper les croisements, donc ça va. Mais on ne peut pas vraiment dormir entre le trafic, les grains, le vent qui bouge beaucoup. Je n’ai pas encore pu me faire une bonne et longue sieste. J’ai plus l’appréhension des tempêtes à venir. La route vers les alizés est mal pavée cette année. Mon bateau est prêt mais je pense qu’il y a des conditions toujours difficiles quel que soit le niveau de préparation, derrière il y a du chemin, la course est longue, pour moi c’est important de me préserver. »

Armel Tripon, L’Occitane en Provence

« J’ai eu une nuit assez calme, j’en ai vraiment profité pour me reposer un maximum. On commence à avoir un peu de mer, ça tape un peu plus, ce n’est que le début d’une douzaine d’heures un peu compliquées. J’ai préparé le bateau, après il va falloir trouver la bonne toile pour ce vent fort avec des rafales. Il faut être en avance sur le temps. C’est mieux d’anticiper plutôt que de forcer. Dans ce genre de conditions, les bateaux sont énergivores, une manœuvre se passe mieux si tu l’anticipes. L’idée est d’aller chercher le front dans l’Ouest, de le passer en milieu de nuit et derrière, de descendre assez vite. Il va falloir chercher une trajectoire pour passer dans deux jours une nouvelle dépression dans le sud des Açores. »

Boris Herrmann, SeaExplorer – Yacht Club Monaco

« Ça va très bien, je n’ai pas encore eu la chance de dormir beaucoup, le vent n’est pas très stable. Il y a Clarisse Cremer derrière moi à une dizaine de milles, on se parle un peu sur WhatsApp, c’est sympa. Nous sommes au près avec un petit clapot, j’ai eu un joli lever de soleil ce matin. Les nuages arrivent petit à petit et mentalement, on se prépare pour le front à partir de ce midi. L’idée, c’est d’aller vers l’Ouest en essayant quand même de gagner des milles vers le Sud. On suit les bascules du vent, le vent est très instable. Il va y avoir beaucoup de manœuvres de réduction de voilure : il y aura un ris, ensuite deux ris, je mettrai trois ris je pense dans le plus fort du vent. J’irai lentement, peut-être à 10 nœuds, pour préserver le bateau. »

Jean Le Cam, Yes We Cam !

« Ça va pas mal, mais ce matin, je me suis endormi complet, j’étais crevé. Je me suis réveillé à 7 milles de la côte, j’ai dû faire un virement de bord en catastrophe, avec le matossage et tout ça. Le matossage devrait être interdit sur ces bateaux ! Je me suis endormi, un K.O complet, comme en Figaro. Tu ne sais plus où tu es. Ça fait bizarre. Il faut le temps de s’habituer, de prendre le rythme. En début de course, c’est compliqué de dormir, tu ne dors pas 5 minutes. L’idée, c’est d’aller dans le Sud pour ne pas se prendre une trop grosse branlée. Le front s’échappe vers le Nord, je préfère assurer le coup, car il y aura de la mer et des grosses rafales. Je préfère faire du Sud, même si ce n’est pas le plus efficace. Ça se passe plutôt pas mal, je vois CORUM à l’AIS qui passe derrière moi ! C’est plutôt bien au bout de deux jours ! J’ai APICIL pas loin, on est un petit groupe. CORUM a quitté le groupe de l’Ouest, pas folle la guêpe ! Nous sommes mieux ici à faire du Sud, il y aura moins de tout. J’ai passé le DST, je suis peinard. Je suis prêt : je vais réduire la toile, les batteries sont à bloc, comme j’ai fait un K.O, je suis reposé. En ce moment, il y a des bateaux partout, des pêcheurs, on va entrer dans le rail d’ici peu. On dormira plus tard. »

Yannick Bestaven, Maître CoQ IV 

« Je préfère tenter le coup au Sud pour avoir moins de vent et moins de mer. Je ne sais pas si c’est une bonne option de course, j’ai recroisé la flotte pour y aller. Je ne suis pas tout seul dans les parages mais du groupe de l’Ouest, il n’y a que Nico (Troussel) qui s’est recalé. Du coup, nous avons fait plus de route pour nous repositionner. Ce n’est pas très joli, mais le Vendée Globe c’est long. C’est une option sécuritaire. Il y a plusieurs dépressions secondaires sur la route. Depuis le départ de la course, ce fut assez actif, je ne suis pas arrivé à vraiment me reposer, seulement par petites tranches, assis ou allongé, mais je ne suis pas trop dans le rouge. »

Louis Burton, Bureau Vallée 2

« Ça va ! Je commence à toucher du vent du deuxième front et la mer commence à se former un petit peu. En ce moment j’ai du secteur Sud pour 20 nœuds, la mer commence à être un peu agitée, on a le soleil pour l’instant. Mon choix de route était fait depuis le départ, je me voyais bien partir assez loin dans l’Ouest pour éviter d’être contraint le long des côtes du Portugal. Pour ma pénalité (5h, pour départ prématuré), c’est vrai que c’est un peu frustrant, parce que c’est passé à quelques secondes, mais cela fait partie du match. Je suis passé à autre chose, je vais la faire après le front, quand j’aurais moins de vent, et je vais en profiter pour aller dormir pendant ce temps-là ! La dépression évolue en mouvement assez vite, on va essayer de la prendre dans le bon sens, il faut un peu de réussite, il faut se trouver dans sa trajectoire quand elle partira dans l’Est. En étant positionné bien à l’Ouest, ce sera assez avantageux, pour en faire le tour avec les vents portants. Pour l’instant, rien à déplorer, mon Bureau Vallée 2 est en plein forme, il est tout sec à l’intérieur, et aucune avarie. J’ai bien pris mes marques, je vais faire doucement dans les transitions pour ne pas casser du matériel.« 

CLASSEMENT (15h00 Heure Française)

1. Benjamin Dutreux, OMIA – Water Family à 23 866 milles de l’arrivée
2. Maxime Sorel, V and B – Mayenne, à 1,2 mille du leader
3.Jean Le Cam, Yes We Cam !, à 4,5 milles du leader
4. Nicolas Troussel, CORUM L’Epargne à 6,5 milles du leader
5. Damien Seguin, Groupe APICIL à 9,1 milles du leader

Crédit Photo : Maxime Sorel

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