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VG2020 : Un sauvetage et des temps si incertains

Ce matin, Kévin Escoffier a quitté le bateau de Jean Le Cam et a été récupéré avec succès par la frégate Nivôse de la Marine française qui fait route vers La Réunion. Charlie Dalin, qui passe son 14e jour en tête, et Thomas Ruyant s’apprêtent à faire un choix délicat face à une dépression qui les attend ce mardi. Derrière, Alan Roura, Stéphane Le Diraison, Armel Tripon et Arnaud Boissières, qui devraient passer le Cap de Bonne-Espérance cette nuit, voient aussi une dépression se rapprocher… Récit d’un dimanche studieux où personne ne s’est arrêté de cogiter.

Avec les fêtes de fin d’année, Noël et son cortège de bons sentiments, l’heure est aux téléfilms et aux belles histoires. Le Vendée Globe n’a pas attendu le 24 décembre pour en offrir une. Le décor ? L’océan Indien et ses turpitudes. Les protagonistes ? Un duo de choc. Jean Le Cam, skipper bourru et iconoclaste avec Kévin Escoffier, 1er Vendée Globe au compteur, mais des aventures nautiques en pagaille. Le premier avait récupéré le second après 12 heures d’incertitude, dans la nuit de lundi à mardi dernier. Une attente interminable puis la joie de voir leurs deux visages encadrés par un écran, leurs sourires et leur complicité instantanée. Un duo cathodique s’est formé, les blagues ont fusé et on a pris l’habitude, toute la semaine, de voir Kévin se transformer en commentateur des faits et gestes du « Roi Jean ». La mer rapproche décidément les Hommes et encore plus les aventuriers.

Pouces levés, sourires en bandoulière, mission réussie

Leur parcours commun s’est donc achevé ce dimanche matin. Il faisait nuit en France (3h10), le ciel était clair dans ce coin perdu de l’océan Indien. Là où seuls deux bateaux de pêche étaient présents à plus de 600 milles à la ronde, il y avait la frégate Nivôse. Un navire de 93,5 mètres de long de la Marine française, dédié à la surveillance des espaces maritimes tricolores dans ce coin loin du monde. En mission depuis plusieurs semaines, il a été dérouté pour se rapprocher de Yes We Cam !

La manœuvre est délicate : un semi-rigide est dépêché sur place avec trois militaires à bord. « Ce n’est pas facile à caler avec les conditions », reconnaissait le skipper de PRB une poignée d’heures plus tôt. Et puis, il s’est habillé de la tête au pied et a plongé à l’eau avant d’être récupéré par les militaires. « Merci ma caille » lance-t-il affectueusement à bord. Pouces levés, sourires en bandoulière et mission réussie. Une autre illustration heureuse de la solidarité des hommes de mer. « Kévin est en pleine forme, il va profiter d’une douche chaude », confie Frédéric Barbe le commandant du Nivôse. La frégate a mis le cap vers la Réunion et devrait arriver vendredi prochain. Le commandant l’assure : « une belle journée commence ! » 

Les leaders à l’heure du choix

Les certitudes sont moins prégnantes dans l’esprit des skippers qui poursuivent leur route au cœur de l’océan Indien. Il faut décrypter chaque fichier météo, se préserver, garder le moral quand le ciel est lourd et la mer agitée, car les temps à venir sont décidément très incertains. Pour les deux hommes de tête, Charlie Dalin (Apivia) et Thomas Ruyant (LinkedOut), toujours séparés par 200 milles, le dilemme est ce front qui arrive mardi prochain, tache rouge foncé sur les cartes météos et conditions proches du chaos dans son centre avec 45 nœuds et 7,5 mètres de creux. Demain, il faudra faire un choix. « Soit ils passent dans le front et se retrouvent au cœur de la tempête, soit ils ralentissent et le front ira plus vite qu’eux », décrypte Sébastien Josse, consultant du Vendée Globe. Charlie Dalin semble opter pour l’option la plus prudente puisqu’il a déjà ralenti l’allure ce dimanche.

Dans le groupe de tête, composé de 11 skippers, tous s’interrogent sur l’attitude à adopter. « J’ai prévu de faire le dos rond », souligne Benjamin Dutreux (OMIA – Water Family), toujours aussi impressionnant à tenir la cadence du moment. Louis Burton (Bureau Vallée 2), qui a repris sa route après avoir résolu ses problèmes de pilote automatique, s’interroge aussi : « Je vais essayer d’être le plus rapide possible. Si le front passe sur nous dans deux jours, ça impliquera un empannage avant de continuer la route sur tribord. » 

Un duo heureux, un quatuor qui doute

À 450 milles plus à l’ouest, les sourires sont de retour sur les visages d’un duo : Romain Attanasio et Clarisse Crémer. Les deux retrouvent enfin des vents plus forts (plus de 15 nœuds depuis ce matin) et s’en amusent en échangeant sur WhatsApp. Le skipper de PURE-Best Western Hotels & Resort savoure : « j’ai sacrément pris de la vitesse. Le bateau dévale les vagues, il y a un boucan d’enfer et ça va durer pendant cinq jours. Quand tu rates un surf pendant une transatlantique, tu t’en veux, mais là tu es heureux, ça te laisse un peu de répit ! »

Le répit, ce n’est pas vraiment à l’ordre du jour pour le quatuor qui suit, à près de 600 milles plus à l’Est. Alan Roura (La Fabrique), Stéphane Le Diraison (Time for Oceans), Armel Tripon (L’Occitane en Provence) et Arnaud Boissières (La Mie Câline – Artisans Artipôle) vont certes passer le Cap de Bonne-Espérance dans la nuit. Malgré des vents très faibles toute la journée, pas le temps de s’y appesantir. Car tous ont un œil sur une dépression venue de Port-Elizabeth qui se creuse, descend vers le sud et qu’ils devraient affronter dans deux jours. « Ils vont être coincés devant la ‘ZEA’ et obligés de faire du près tant qu’elle ne s’évacue pas plus au Sud », constate le météorologue du Vendée Globe, Christian Dumard. « Ce ne sera vraiment pas simple à gérer », confirme Alan Roura, invité du Vendée Live ce midi. 

Si difficile progression de l’Atlantique Sud

Cet enchaînement de dépressions et de bulles anticycloniques propres au Sud, certains en sont loin. Le dernier groupe, composé de huit skippers, pointe toujours au cœur de l’Atlantique Sud. Parmi eux, Fabrice Amedeo (Newrest – Art & Fenêtres) retrouve enfin des conditions plus réjouissantes (20/24 nœuds de vent) après avoir été englué dans l’anticyclone de Sainte-Hélène. « La transition est délicate, j’avais perdu les habitudes de la vitesse, de giter, d’avoir un bateau bruyant » , assure-t-il.

Un peu plus loin, Sébastien Destremau (merci) garde le moral au beau fixe – « je ne savais pas qu’on était en course depuis 27 jours » – malgré une nuit compliquée par les fortes variations du vent. « J’ai passé un front qui n’était pas franc et ça m’a fait perdre vachement de temps. C’est un travail de forçat ! » Derrière, rien n’est facile non plus pour Jérémie Beyou (Charal). « Il aurait pu rêver rejoindre le Cap de Bonne-Espérance au reaching, mais là, à cause des conditions, il devra faire deux fois plus de route et tirer des bords », décrypte Sébastien Josse.

Alors, quand tous doivent batailler, appréhender l’avenir proche et avancer malgré des conditions peu clémentes, chaque petite victoire est une satisfaction qui se savoure sans compter. Louis Burton, qui avait envisagé l’abandon en bataillant avec ses systèmes électriques, a sans doute ressenti cette décharge de plaisir en reprenant la route. Damien Seguin aussi, quand il a recollé les joints du capot de soute à voiles qui le protège des projections d’eau salée. Le plaisir se niche aussi à entendre les vagues qui se jettent frénétiquement sur le pont, à ressentir la force des éléments et les surfs qui s’enchaînent…

Les monocoques, dans ce décor de chaos, offrent ainsi ce qu’ils ont de meilleur : des moments de liberté et d’exaltation qui expliquent, au fond, pourquoi ces aventuriers prennent tant de plaisir si loin de la terre.

Ils ont dit

Louis Burton, Bureau Vallée 2

Je suis pas mal cramé ! Mes problèmes ont commencé avant-hier à 18h et j’ai été me coucher à minuit cette nuit. Il y a la fatigue qui s’accumule. Et puis tu sais que pour remettre un bateau en état, il faut de la pétole. Or, quand tu regardes l’horizon des prochains jours, ça va être compliqué. Un moment, je n’arrivais même plus à faire route, je barrais et je n’arrivais pas à résoudre les problèmes de pilote automatique. Du coup, tu affales, tu laisses le bateau dériver, tu essaies de gérer le problème. Et quand ça dure pendant des heures et des heures, à un moment donné tu te dis que tu ne vas pas pouvoir continuer… J’espère avoir mangé mon pain noir et que ça sera plus cool maintenant.

Benjamin Dutreux, OMIA – Water Family

J’ai passé une nuit assez horrible, car je suis resté bloqué dans une molle toute la nuit. On se plaint tout le temps nous les marins, on se plaint quand il y a trop de vent, quand ça bouge trop, quand il n’y en a pas assez… Je n’ai pas trop compris, il y a peut-être un grain qui est passé et qui a aspiré du vent autour. J’avais hissé toutes les voiles et là ça repart donc je vais devoir rebaisser tout, car j’ai à nouveau 18 nœuds. J’ai du boulot avant le front à venir qui va être assez solide ! Je suis super content, c’est génial d’être dans ce groupe. Et je m’accroche pour y rester !

Romain Attanasio, PURE-Best Western Hotels & Resort

J’ai sacrément retrouvé de la vitesse, le bateau va à fond, je suis à 20 nœuds. J’ai fait toute la nuit sous grand-gennaker et ce matin je savais que je devais affaler, car le vent allait forcir, j’ai dû affaler dans 25 nœuds ! Depuis, le bateau dévale des vagues, elles passent par-dessus le bateau. J’ai attrapé la dépression devant moi que je vais garder pendant 5 jours. Je serai un peu sous l’eau ces prochains jours. J’espère ne rien taper à cette allure-là, si je tape quelque chose à 22 nœuds, je n’ose même pas imaginer ce que ça fera. J’ai eu Sam (Davies) il y a peu de temps au téléphone, c’est terrible. Elle a vraiment envie de repartir hors course, ça serait super. Elle est encore un peu choquée. Moi je continue, et c’est le jeu, c’est la vie du Vendée Globe, c’est une course cruelle.  

Fabrice Amedeo, Newrest – Art & Fenêtres

Je viens de passer à 6 milles des îles Tristan da Cunha. C’était assez magique comme moment, c’était le dernier moment de bleu avant le gris. La première fois que j’ai entendu parler de cette île c’était sous la plume de Bernard Moitessier dans “La Longue Route“. Ce sont des moments particuliers, surtout que je ne fais pas la course que je voudrais, c’est une belle récompense. J’ai bien fait de ne pas redescendre trop au Sud, car la dépression est musclée. J’ai commencé à ramener les plexis de mon cockpit pour être à l’abri et c’est parti pour un gros mois, je suis prêt !

Sébastien Destremau, merci

Ça va super bien ! Je n’ai pas de souci particulier à bord après une longue nuit un peu compliquée. C’était vers 1 heure du matin, on était à fond la caisse et il s’est mis à pleuvoir des trombes. Un front est arrivé. Il n’était pas franc du tout et le vent a commencé à faiblir, remonter, faiblir, tourner… Ça nous a fait perdre vachement de temps à attendre que ça s’installe au sud-ouest. C’est un travail de forçat. La descente de l’Atlantique Sud est un peu longue. Nous ne sommes pas encore dans le dur, il faut attendre quelques jours. Mais les conditions commencent à se durcir, les températures baissent. On arrive dans le sud !

CLASSEMENT à 15h00 Heure Française

1. Charlie Dalin, Apivia, à 15 652, 8 milles de l’arrivée
2. Thomas Ruyant, LinkedOut, à 200,1 milles du leader
3. Louis Burton, Bureau Vallée 2, à 213,1 milles du leader
4. Damien Seguin, Groupe APICIL, à 332,5 milles du leader
5. Yannick Bestaven, Maître CoQ IV, à 362,7 milles du leader

Crédit Photo : Marine Nationale

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– CP –

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