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VG2020 : l’usure du Grand Sud

Charlie Dalin et Thomas Ruyant ont traversé l’ultime fort coup de vent de l’océan Indien et font route vers le deuxième des trois grands caps de ce tour du monde, devant une horde de poursuivants usés par les conditions de navigation agressives du Grand Sud.

Trois ris et rien devant. Même le petit tourmentin orange fluo, la voile de tempête, a été roulée à l’avant d’Apivia qui a tracé droit dans la dépression. C’est ce que l’on aperçoit sur les images envoyées ce matin par Charlie Dalin. Avant qu’il ne raconte de vive voix comment il a vécu sa nuit et sa matinée dans 50 nœuds de vent, il faudra attendre demain, lorsque la situation se sera décantée et qu’il se sera reposé. Ce midi déjà, le front dépassait le bateau jaune. Le leader indétrônable de ce 9e Vendée Globe empannait alors pour se caler dans le flux de sud-ouest. Sa vitesse est restée très modérée toute la journée. Charlie est encore probablement sous-toilé, en train de se remettre de ses efforts et de ses émotions.

250 milles derrière Charlie, Thomas Ruyant a tiré au cordeau une route plus septentrionale, en passant  7 milles au Nord de l’île d’Amsterdam, un itinéraire qui le mettait à l’abri des vents les plus forts. Ce matin, l’auteur de cette trajectoire était pleinement satisfait du résultat : « j’ai pu éviter le gros de cette dépression. Je n’avais pas vraiment le choix, Charlie (Dalin) avait assez d’avance pour rester à l’avant de ce front, mais pour moi, ça aurait été trop dur ». Pour le vainqueur de la Route du Rhum 2010, ça n’a pas été non plus une partie de rigolade, mais le coup de chien a été bref : une paire d’heures avec des rafales à 60 nœuds, puis un empannage un peu scabreux mais maîtrisé. Ce matin, le skipper de LinkedOut profitait de conditions plus « maniables » : 30 nœuds de vent dans un paysage adouci par la lumière du soleil. « Je suis bien content d’avoir passé ce dernier obstacle dans l’océan Indien. On n’est à l’abri de rien, mais c’était le dernier phénomène costaud avant d’arriver dans le Pacifique ».

Cap au Sud, les deux leaders devraient profiter de conditions plus stables ces prochaines 72 heures. De quoi souffler un peu sur la route du Cap Leeuwin.

« La taille et la direction des vagues dictent leur loi »

Dans le Nord des Kerguelen, sur la partie ouest de ce système dépressionnaire gigantesque qui serpente jusque dans le Pacifique, le vent est encore soutenu pour les marins lancés aux trousses de Charlie et Thomas. Par 45°Sud, Louis Burton, le plus méridional de tous, a retrouvé son fauteuil de 3e devant Yannick Bestaven, Benjamin Dutreux et Boris Herrmann, dont la trace se confond aujourd’hui avec celle de Damien Seguin. Depuis trois jours, le skipper de Groupe APICIL passe son temps à tenter de résoudre des problèmes électriques qui provoquent des black-out, synonymes de déconnexion du pilote automatique et de départ au tas ! Heureusement, la situation semble sous contrôle.  Car bricoler à bord dans de telles conditions est une punition.  Plus que le vent, « c’est la taille des vagues et leur direction qui dictent leur loi » avoue Damien Seguin. « Il faut se faire violence pour prendre soin du bateau et de soi, sinon, ça devient invivable. Tu es obligé de réduire la toile pour pouvoir faire bouillir de l’eau et pouvoir manger ».

Depuis bientôt dix jours, ces 11 solitaires – poursuivis par Romain Attanasio (12e) et Clarisse Cremer (13e) -, sont embarqués dans le train fantôme du Grand Sud et vivent une interminable succession de coups de stress. Dans le vacarme des habitacles, secoués par d’incessantes embardées, ces hommes et femmes démontrent pourtant une incroyable capacité d’adaptation. Et s’habituent à vivre – parce qu’il le faut bien – dans cet environnement agressif. 

Au bord de la crise de nerf

Sous le continent africain, cueillis par une dépression descendue de Madagascar, trois hommes sont en train de payer cher leur ticket d’entrée pour l’océan Indien. Joint ce matin au téléphone, Stéphane le Diraison (17e), coincé dans une zone sans vent, face à une houle de 4 mètres au centre de cette dépression, était au bord de la crise de nerfs. 100 milles devant lui, Alan Roura naviguait lui aussi avec une mer de face, mais avec 25 nœuds de vent de travers, des conditions décrites comme « invivables ».

Ce Grand Sud est une guerre d’usure pour les marins. Mais si Dame Nature ne fait pas grand cas du malheur des hommes, elle est aussi la meilleure des consolatrices. Il suffit d’un arc-en-ciel de carte postale dans le sillage de V and B – Mayenne ou d’une aurore australe flamboyante  à l’horizon de L’Occitane en Provence, et tout est oublié.

Debout à 1h30 du matin sur le pont de son bateau pour changer une voile d’avant, Armel Tripon a immortalisé ce moment. Il fête peut-être aussi son échappée limpide, seul, devant ses compères Roura, Le Diraison et Boissières. La vitesse de son plan Manuard lui a permis de filer sous la dépression. En 10 jours, Tripon gagné 8 places au classement et se retrouve aujourd’hui dans des conditions météo idéales pour poursuivre sa belle glissade dans l’océan Indien.

A l’arrière, enfin, le groupe des 8 emmené par Fabrice Amedeo navigue à la lisière d’une dépression qui va les porter jusqu’au Cap de Bonne-Espérance. A leur tour, les retardataires sont entrés dans le royaume de l’ombre. Celui des quarantièmes rugissants.

Ils ont dit

Thomas Ruyant, LinkedOut 

Ça commence à aller mieux, je sais que les conditions vont en s’améliorant, c’est mieux dans ce sens-là pour le moral ! La nuit a été bien tonique, je suis quand même content de la trajectoire prise. J’ai pu éviter le gros de cette dépression. Cette nuit, j’ai eu 45 nœuds établis avec des rafales à 60, une mer croisée et courte, c’était un peu chaud pendant deux heures, là c’est bon, j’ai des conditions plus maniables avec 30 nœuds de vent. Il y a 24 heures je ne faisais pas le malin avec cet enroulement. Il y avait forcément un peu d’appréhension et aussi la pression de ne pas me planter dans la trajectoire car ça se jouait à peu de choses, il fallait être assez fin sur l’endroit où passer. J’essaye de garder de la stabilité dans les émotions, je pense que c’est important pour tenir sur ce Vendée Globe sur la durée.

Alan Roura, La Fabrique 

On a des conditions difficiles à gérer, ce n’est pas très maniable. Je suis sous-toilé depuis le début du phénomène car je ne peux pas accélérer dans cette mer. J’essaye d’éviter le gros du gros temps en restant à la frontière entre le maniable et le non-maniable. C’est invivable à bord. Il va falloir encore serrer les dents jusqu’à demain après-midi.

Le fait d’être un peu en avant d’Arnaud et Stéphane ça fait du bien, même si ça ne veut pas dire qu’ils ne vont pas revenir. Dès que le bateau avance et que j’arrive à remonter un peu, je suis content, mais on a vraiment des conditions difficiles cette année pour notre groupe dans la flotte. Hier je faisais du près dans 40 nœuds en rafale, je n’ai pas le souvenir que le Sud était comme ça. Ça fait partie du jeu, il faut parfois mettre la course entre parenthèses pour ménager le bateau qui souffre beaucoup.

 Boris Herrmann, SeaExplorer – Yacht Club de Monaco

Je vois Damien Seguin (Groupe APICIL) depuis ce matin à l’AIS, là il est à deux milles derrière moi. On a empanné quasiment en même temps. On va passer la baston ensemble aujourd’hui.

J’attends 35 nœuds de vent avec des rafales à 40-45 nœuds. On a douze heures assez musclées devant nous et après, ça devrait se calmer jusqu’au Cap Leeuwin où on aura une autre dépression.  Côté moral, ça va, mais ce n’était pas le cas il y a deux jours. Je me sentais seul en mer, les émotions sont plus fortes avec la solitude et le manque de sommeil. Je navigue toujours avec la même philosophie de faire très attention.

Jérémie Beyou, Charal 

Je suis au bord d’une dépression au portant, il faut tirer des bords donc ça va vite mais je ne progresse pas très rapidement vers le but. J’essaye de faire avancer le bateau au mieux même si la mer est courte et vent irrégulier. C’est dur d’avoir des vitesses stables là.

Charal est un super bateau qui ne demande qu’à aller vite, mais on est qu’au début de la course donc je pense que la pire des choses à faire serait d’appuyer et de tout casser. Je m’en voudrais beaucoup. J’essaye d’y aller en souplesse, même un cran en dessous. Je ne vais pas me retrouver 15e ou 10e juste en forçant sur le bateau, il faudrait un concours de circonstances et des conditions météo pour que j’arrive à gagner des places. Je me concentre vraiment sur la glisse du bateau.

 Stéphane Le Diraison, Time for Oceans

C’est un véritable calvaire. J’ai l’impression d’être puni sur ce Vendée Globe, tous les pièges me tombent dessus. Cette dépression est insupportable. Je suis au bord de la crise de nerfs ! Je suis au bord de la dépression avec ‘Cali’ (Arnaud Boissières), il y a 4 mètres de vagues et 4 nœuds de vent. On se fait massacrer, on n’avance pas : ça roule, ça tape… Je n’ai jamais eu une pétole avec de telles conditions. Il y a des montagnes d’eau qui s’abattent sur le bateau qui ne peut même pas avancer.

En ayant pu faire du près avec du vent d’Est dans le grand Sud, j’ai parfois l’impression de faire le tour du monde à l’envers. Ça fait beaucoup d’obstacles de suite et c’est dur de garder un moral positif. C’est là qu’on se dit que c’était pertinent de faire de la préparation mentale pour supporter ça. J’espère qu’après on aura au moins comme récompense de belles glissades jusqu’à l’Australie.

C’était dur d’imaginer que ça soit aussi défavorable. Il y a deux, trois jours, nous étions côte à côte avec Alan (Roura) et on en parlait à la VHF. On en avait les larmes aux yeux, ce n’est pas possible. Un moment, il faut que ça s’arrête. Là, c’est de la résistance à la douleur, se tester en permanence pour résister au mal. Au bout de trente jours, c’est long !

CLASSEMENT à 18h00 Heure Française

1. Charlie Dalin, Apivia, à 14 655.1 milles de l’arrivée
2. Thomas Ruyant, LinkedOut, à 230.56 milles du leader
3. Louis Burton, Bureau Vallée 2, à 295.98 milles du leader
4. Yannick Bestaven, Maître CoQ IV, à 313.46 milles du leader
5. Benjamin Dutreux, OMIA – WATER FAMILY, à 391.07 milles du leader

Crédit Photo : Pierre Bouras

Tags sur NauticNews : Vendée GlobeVG2020

– CP –

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