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VG2020 : changement de tête

Contraint de freiner pour réparer, Charlie Dalin (Apivia) a concédé beaucoup de terrain à Thomas Ruyant (LinkedOut), de nouveau leader. Juste derrière, Yannick Bestaven (Maître CoQ) est à l’affût. Plus haut, les chasseurs naviguent à vue et, armés de leurs caméras, livrent des images de ce moment totalement invraisemblable.

Hier, en fin de journée, Charlie Dalin a entendu un bruit, vraiment distinct de tous les autres dans cet environnement sonore très habité. Puis il a senti le ralentissement du bateau. Des premières inspections nocturnes sont nées des constats : pas de voie d’eau dans le bateau, mais le système de foil bâbord endommagé, autour de la cale basse – la boîte de renfort dans laquelle s’encastre le foil et qui fait jonction entre le foil et la carène du bateau.

Dalin, un coup sur la cale basse

Depuis hier, une cellule de crise a été mise en place à Concarneau, chez Mer Concept, qui veille à la destinée du projet Apivia. Il y avait du monde autour de la table, notamment Antoine Carraz, le responsable technique d’Apivia, Antoine Gautier, le directeur du bureau d’études et François Gabart, le boss de Mer Concept et pas avare en conseils.

Depuis la fin de journée de lundi et jusqu’aux premières heures de cet après-midi, Charlie Dalin a mis sa route entre parenthèses, laissant son bateau dériver doucement pour favoriser le confort durant ses réparations. Vers 13 heures, Apivia a repris sa route, avec un déficit de 121,9 milles de retard sur LinkedOut. C’est Antoine Carraz, via le service de presse d’Apivia, qui a fait le point sur la situation, en fin d’après-midi : « Charlie a modifié sa trajectoire afin de profiter de conditions favorables pour effectuer la réparation de la cale basse du foil bâbord et celle-ci s’est bien déroulée. L’objectif est maintenant de valider la réparation dans les heures qui viennent afin de passer plus sereinement dans l’océan Pacifique. Nous restons donc prudents et attentifs face à ces prochaines heures, qui s’annoncent cruciales pour la suite de la course de Charlie. »

Thomas Ruyant, de nouveau patron !

Car pendant ce temps-là, Thomas Ruyant (LinkedOut) a repris les commandes, gommant comme un rien ses quelque 60 milles de retard d’hier, et résistant, sur l’amure qui ne lui est pas favorable – il ne peut s’appuyer que partiellement sur son foil bâbord, étêté – aux assauts de Yannick Bestaven (Maître CoQ IV). 9,1 milles séparaient les deux hommes au classement de 15 heures – une paille. Le léger décalage dans le nord du Rochelais amène de légères variations de conditions de navigation. Avec un tout petit peu plus de vent, mais aussi un tout petit peu plus de mer, avec un demi-foil en moins, mais beaucoup de toile et de ballasts pour compenser, Thomas Ruyant avançait cet après-midi un poil moins vite que le skipper de Maître CoQ.

Pour les deux hommes, la plongée vers le Sud est toujours d’actualité. Elle leur permet de se rapprocher de la petite dépression qui balaie la zone, et ainsi de venir fricoter avec la ZEA, 100 milles plus bas. Une fois dans cette zone, les deux (trois) solitaires empanneront, changeront d’amure – le leader piaffe d’impatience ! – et tricoteront leur trajectoire vers l’Est, la longitude de la Tasmanie, avec la Nouvelle-Zélande dans le viseur. L’objectif sera de tenir le plus longtemps possible dans ce flux de Nord-Ouest et de rester, si possible, à l’avant de ce front, où le vent se fait plus régulier et la mer moins agitée. De quoi espérer faire chanter les foils dans quelques grisantes glissades…

L’invraisemblable regroupement

Solitaires, ils ne le sont pas vraiment. S’ils avaient pris l’habitude de naviguer de conserve (oui, c’est un terme de la marine), les chasseurs ont, au moment de se glisser dans l’angle du plateau australien de la zone des glaces, procédé à un regroupement en bonne et due forme. Tant et si bien que l’heure vendéenne du déjeuner a été égayée par une bordée de vidéos venues de Bureau Vallée 2, Groupe APICIL, SeaExplorer – Yacht Club de Monaco et OMIA – Water Family. Plusieurs heures durant, les skippers ont partagé les images de ce rendez-vous en terre inconnue tout à fait exceptionnel, à 13 000 milles des Sables d’Olonne et du terrain de jeu de la Solitaire du Figaro ! Les images sont disponibles dans le serveur de la course.

L’inédit se montre en chiffres : à 426 milles de la tête de course, le 4e, Jean le Cam (Yes We Cam!) compte 0,9 mille d’avance sur Louis Burton (Bureau Vallée 2), 1,2 mille sur Boris Herrmann (SeaExplorer – Yacht Club de Monaco), 1,9 mille sur Benjamin Dutreux (OMIA – Water Family) et 3,2 sur Damien Seguin (Groupe APICIL), 8e ! La session de petit trot qui les a unis a fini par laisser place à une session un peu plus musclée, les vitesses ayant augmenté progressivement cet après-midi. Mais, confinés entre la ZEA et l’anticyclone des Mascareignes dans leur Nord, les chasseurs disposent de bien peu de place pour trouver des chemins de traverse.

Clarisse Crémer (Banque Populaire X) et Romain Attanasio (Pure – Best Western) se rapprochent du Cap Leeuwin. Il leur reste encore de la route à courir pour y parvenir, mais le tandem pourrait, à condition de tenir une moyenne à 14 nœuds, effacer le deuxième des trois caps demain à la même heure. Ils seraient alors les 12e et 13e à franchir Leeuwin. Quelque 400 milles plus en arrière, Armel Tripon (L’Occitane en Provence) fait ce qu’il peut pour devancer une des poches de l’anticyclone des Mascareignes. 15e, Alan Roura (La Fabrique) avançait à très belle allure ce jour (20,6 nœuds sur 4 heures au classement de 15 heures), porté par des vents de 20 nœuds qui, cerise sur le gâteau sec, poussent l’anticyclone vers l’Est.

Il faudra, pour le dernier groupe, garder un œil averti sur la zone des Kerguelen, qu’une dépression très velue s’apprête à visiter (jeudi ?). De la même manière, Christian Dumard (Great Circle), le monsieur Météo du Vendée Globe, a déjà posé l’autre œil sur l’activité cyclonique qui s’agite, du côté des Fidji.

Ils ont dit

Yannick Bestaven, Maître CoQ IV

Oh punaise, tu ne peux pas savoir comme je suis content, content ! Cela fait une semaine que j’ai une déchirure sur mon J2, ça m’handicapait. J’ai profité de ce matin car il y avait un peu moins de vent et moins de mer pour monter tout là-haut et mettre un patch. Je suis en nage mais heureux ! Ça me prenait la tête depuis des jours, je voyais bien que j’avais une déchirure, je ne pouvais pas utiliser mon J2. J’avais mon petit gennaker, mais plus la voile tout terrain pour être tranquille. J’avais préparé toutes mes pièces nécessaires en bas, des morceaux de Cuben, de l’acétone, du sikaflex, de la colle, des ciseaux… Je me suis mis plein vent arrière, j’ai déroulé le J2 à contre pour que la voile pose sur le mât. Et puis, j’ai mis mon casque, mes grimpeurs d’escalade, j’ai pris un petit Doliprane car j’ai une petite sciatique et je me suis dit « Aller, faut monter, c’est maintenant ou jamais ». C’est une victoire, j’ai un bateau nickel maintenant, comme au départ des Sables d’Olonne. C’est chouette ! J’ai dû m’arrêter une heure et demie, plein de vent arrière à cinq nœuds. Champagne ! Je ne disais rien à personne, mais ça me prenait la tête ! Pour notre petit groupe c’est bien, on ne s’est pas jamais arrêté. On va toucher du vent au fur et à mesure, et nous aurons plus de vent le long de la zone des glaces. On va continuer à creuser l’écart sur le groupe de l’arrière, c’est l’objectif. J’avais vu que la bulle allait nous rattraper, c’est pour ça que j’ai tartiné avec le petit gennaker sur la tranche, ce n’était pas confort et il fallait que je fasse gaffe quand même. Il fallait suivre pour ne pas être dans la bulle sans vent derrière. Je ne suis pas au courant pour Charlie Dalin, mais j’ai bien vu qu’il ralentissait. Je ne suis pas étonné ! Ce sont des bateaux plus rapides, ils devraient aligner de meilleures moyennes que moi. Je me doutais bien qu’il avait un souci. En revanche je trouve que Thomas Ruyant est bien quand même. Mes foils ne sont pas très grands, mais ils sont costauds !

Jean le Cam, Yes We Cam!

Normalement, le vent va se lever progressivement à mesure qu’on fera du Sud. On se dégage de la zone infernale. Ça commence à s’améliorer, on a déjà 7 nœuds de vent. Mais, on ne va pas se plaindre tout le temps ! Un coup, il y en a trop, un coup pas assez. Le rythme, c’est en fonction de notre emploi du temps et en fonction des changements de voile. Là, je viens de dormir une heure, ce n’est pas mal du tout… A peine réveillé, tu regardes tout de suite où est l’autre. Benjamin Dutreux n’est vraiment pas loin. Il va vraiment bien, il ne mollit pas. Je suis entouré de gens qui ne mollissent pas, il ne faut pas compter là-dessus ! Ça m’agace d’ailleurs, en ce moment il va plus vite que moi, je ne sais pas ce que je vais faire. Mettre plus de toile peut-être, mais faut pas s’emporter. 

Damien Seguin, Groupe APICIL

J’ai bricolé sur le bateau, j’ai bossé sur le J2, j’ai grimpé un peu au mât. Il fait étonnamment chaud : 17° par 47° sud ! J’aère le bateau. C’est étonnant, j’en profite, ça sèche. La transition est « on-off » par rapport à ce qu’on a connu ces derniers jours : ça allait vite, on faisait 17 nœuds de moyenne, là, c’est en chute libre. Je suis monté à mi-mât, j’avais une drisse à vérifier. Il y a de la mer, ce n’est pas évident à faire. J’ai réparé le zip de mon J2 et je me suis bien fait secouer. J’avais deux coutures à faire, et cela ne sert à rien ne s’énerver sur les réglages quand il n’y a pas de vent. Autant faire les réparations qui te feront gagner du temps plus tard. On voit la zone de molle qui se décale dans l’Est, on va finir par en sortir. De toute façon, je n’ai pas prévu d’acheter du terrain ici ! Je suis impatient d’avancer et de naviguer dans le Pacifique. Le passage du Cap Leeuwin. Pour un bizuth comme moi, c’est génial, en plus j’avais Jean le Cam à côté de moi, on se tirait la bourre. C’est à chaque fois une nouvelle découverte. Je suis hyper content d’être là, je vois beaucoup de bateaux qui ont des problèmes, j’ai réussi à faire les réparations importantes qui mettaient en péril la continuité de la course, je suis super content. Chaque jour, il y a une surprise. On sait qu’un Vendée Globe, ça peut s’arrêter du jour au lendemain. Les moments de calme, ça vaut le coup de contrôler le bateau, de mettre la course entre parenthèses pour préserver le mode course pour la suite. Il y a de grandes algues qui flottent dans l’eau, pas d’oiseau, pas de dauphin, ça manque de politesse dans le coin ! 

CLASSEMENT à 15h00 Heure Française

1. Thomas Ruyant, LinkedOut, à 12 595.6 milles de l’arrivée
2. Yannick Bestaven, Maître CoQ IV à 9.14 milles du leader
3. Charlie Dalin, Apivia, à 121.87 milles du leader
4. Jean Le Cam, Yes We Cam!, à 426.01 milles du leader
5. Louis Burton, Bureau Vallée 2, à 426.95 milles du leader

Crédit Photo : Pierre Bouras

Tags sur NauticNews : Vendée GlobeVG2020

– CP –

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