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VG 2020 : d’une extrême à l’autre

Ce matin à 5h39 (heure française) c’était au tour de Charlie Dalin de franchir le dernier des trois sommets du tour du monde, 15 heures derrière la coque rouge de Maître CoQ IV. Premier à Bonne Espérance, premier à Leeuwin, deuxième au Cap Horn… le skipper d’Apivia est proche du sans faute. Le combat singulier qui va l’opposer à Yannick Bestaven tout au long d’une remontée de l’Atlantique très complexe s’annonce passionnant. En attendant, les deux hommes sont passés en l’espace de quelques heures d’un extrême à l’autre. De la tempête au calme. Du désert maritime aux îles et aux côtes. Du portant musclé à la stratégie fine. De la survie à la régate. Malgré l’immense fatigue accumulée après un mois de maltraitance dans les mers du Sud, il leur faut pourtant se remettre très vite dans de nouvelles dispositions…

Apivia est passé à 7 milles du promontoire rocheux.  Dans la pénombre des hautes latitudes australes, son skipper a aperçu l’ombre du rocher et les lumières de la côte. Il a même pu échanger quelques mots avec le gardien de phare installé sur la base de l’île Horn. « C’est un bonheur tout simplement. Un moment fort. Je suis aussi heureux de ne plus avoir cette grosse mer qui nous accompagnait depuis plusieurs jours » déclarait ce dimanche matin le marin de 36 ans, engagé dans le premier tour du monde de sa vie. Perfectionniste et optimaliste – capacité à faire au mieux avec ce que l’on a – … c’est ainsi que Charlie se décrivait avant de quitter les Sables d’Olonne. Il faut certainement une forte dose de ces deux qualités – et quelques autres – pour exceller dans le Vendée Globe. De fait, Charlie doit composer depuis le 16 décembre avec un foil bâbord défaillant qui lui a coûté le leadership à l’entrée du Pacifique.

Le soulagement, c’est maintenant (ou pour bientôt)

Le cri poussé par Bestaven, hier, au moment où il passait le cap Dur, trahit l’intensité de son soulagement. «  De ma vie de marin, c’est la plus grosse tempête que j’ai jamais essuyée. Une mer démentielle, des rafales à 60 nœuds. Je n’avais jamais vu aussi gros. C’est un soulagement énorme, car ça a été très dur ».  Joint dans l’émission de ce dimanche et congratulé par l’écrivain Erik Orsenna, Yannick, emmitouflé dans une grosse doudoune de ski rouge, avait les yeux hagards et l’air épuisé. « Me retrouver au calme m’a assommé » avoue-t-il.  Un mois à vivre K.O debout sous les uppercuts incessants du Grand Sud a de quoi vous amocher le plus fringant des navigateurs. Une fois passée la pointe de l’Amérique du Sud, le contrecoup est donc énorme.

Pourtant, tous appellent cette délivrance de leurs vœux. À commencer par Thomas Ruyant, prochain sur la liste avec Damien Seguin. « L’Antarctique n’est pas loin, on aperçoit la sortie du tunnel! Le moral remonte à la surface parce qu’on sait que c’est la fin d’un gros morceau » confesse Ruyant qui souffre du froid par 58 degrés Sud. « Si j’avais du beurre à bord, j’aurais du mal à l’étaler sur ma tartine » plaisante-t-il.

Ce froid mordant est tombé sur la tête de Maxime Sorel, 10e. En l’espace de quelques minutes, un énorme grain chargé de grésil a recouvert le pont de son bateau vert de paillettes de glace blanche.

Jean le Cam, qui s’apprête à passer le Horn pour la 7e fois de sa longue et belle carrière a hâte, lui aussi, d’en finir avec la baston : « on a affronté des conditions exécrables pendant plus d’un mois. Le Cap Horn, c’est aussi la route vers la maison et le chaud. Ce n’est pas qu’un symbole, c’est beaucoup de choses physiques ».

Ruyant et Seguin sont attendus dans le sud de l’Ile Horn aux premières heures du 4 janvier. Dutreux, le Cam et leurs poursuivants une demi-journée plus tard. À partir de lundi soir, il pourrait y avoir embouteillage au Cap Horn !

L’ombre du vent

En attendant, les deux leaders sont passés dans un autre monde. Longtemps arrêté dans le vaste dévent qui s’étend sur 350 milles dans le Sud-Est de la pointe de l’Argentine, Yannick Bestaven en a certainement profité pour procéder à une vérification complète de son bateau et pour se reposer. Il a aussi perdu la moitié de son avance sur Charlie Dalin. Ce dernier est désormais à la chasse du bateau rouge, dans un combat singulier qui risque de tenir tout le monde en haleine, car les deux hommes pourraient emprunter des routes bien différentes pour leur remontée de l’Atlantique Sud.

Proche des côtes, Dalin embouquait cet après-midi le détroit de Le Maire, petit couloir de 16 milles entre la Terre de Feu, au sud de l’Argentine et l’île des États. Tandis que Bestaven traçait vers l’Est, presque parallèlement à la barrière des glaces. Tous deux vont essayer de trouver le meilleur passage pour traverser un anticyclone qui se forme au nord des Falkland et qui contrarie leur progression vers le Nord…

1000 milles derrière eux et pratiquement jusqu’aux derniers concurrents, les conditions anticycloniques qui régnaient dans le Pacifique cèdent la place au train de dépressions plus commun dans ces contrées. Il y a du vent, beaucoup de vent pour presque tout le monde. Le Grand Sud va retrouver son visage habituel pendant toute la semaine à venir.

Ils ont dit

Charlie Dalin, Apivia

C’est un moment assez fort de franchir ce premier Cap Horn, il y avait pas mal de mer, un ciel clair parsemé de grains, une belle lune. J’ai appelé le gardien de phare donc on a pu échanger quelques mots même si je ne comprenais pas toujours ce qu’il disait, c’était sympa. C’est un moment assez fort de franchir ce cap. J’ai fêté ça en renvoyant un peu de toile (rires). Je suis passé près des îles Diego Ramirez, des îles qui ont l’air assez hostiles, c’est des cailloux acérés, c’est la première terre que je voyais depuis les îles Trindade, j’avais presque oublié que ça existait. À ce moment-là, le plateau continental était parallèle à la houle donc je n’ai pas noté de différence sur l’état de la mer. Par contre il a fallu que je dévie un tout petit peu ma route pour être sûr de passer suffisamment loin des côtes.

Jean-Yves Bernot (météorologue) nous dit toujours qu’il faut changer de mode une fois le cap Horn passé, je vais pouvoir enfin comprendre ce qu’il entend par cette formule. Je suis content d‘en avoir terminé avec le Pacifique. C’est une nouvelle phase de course qui s’ouvre à moi maintenant. Je travaille déjà depuis quelques jours sur la stratégie de la remontée, il y a beaucoup de phénomènes météo à parer et de nombreuses choses à faire. Je ne vais pas m’ennuyer. Avant l’empannage, j’irai faire un petit check du bateau. A priori ça va, j’ai fait attention à la préservation du bateau dans ce dernier coup de vent. C’était une priorité absolue pour moi de sortir de là avec un bateau en bon état donc pour moi il n’y a pas de soucis, je ne suis pas inquiet sur les conditions du bateau.

C’est en train de mollir tranquillement, le soleil est en train de se lever, j’ai encore entre 25-30 nœuds, la mer s’est assagie depuis que je suis protégé par les îles. La différence c’est vraiment de ne plus avoir cette grosse mer qui nous accompagnait depuis quelques jours, j’ai eu jusqu’à 7 mètres de vagues.

Je suis vraiment heureux, je peux dire que je suis cap hornier maintenant. C’était le troisième cap, j’ai passé les deux premiers en tête, mais là, le destin en aura voulu autrement pour celui-ci. Le chemin est encore long, il reste 7000 milles de course, il reste plein de coups à jouer. C’était un moment de bonheur.

Yannick Bestaven, Maître CoQ IV

C’est une transition importante qu’on vit, je suis fier d’être cap hornier, en tête du Vendée Globe. Maintenant, côté météo, il y a beaucoup de choses à faire pour remonter l’Atlantique Sud donc il faut revenir dans le bon sens à tous les niveaux et remettre le bateau et le bonhomme en état.

C’est plein d’émotions et c’est une délivrance, car c’est un but dans les mers du Sud qu’on se fixe et puis c’est aussi la sortie de mers compliquées, dangereuses, ou il n’y a personne. En plus de cela, j’ai passé le cap Horn dans une énorme tempête donc c’était un grand soulagement d’en sortir.

Thomas Ruyant, LinkedOut
 
La mer est en train de se calmer alors qu’elle était grosse hier. Je descends vers le Sud-Est et le vent va encore tourner vers le Nord-Ouest, alors je vais aller à fond vers la ZEA avant d’empanner. Je vais essayer de passer le ap Horn en un seul bord…

Mais là, je suis déjà pas mal Sud et ça caille vraiment ! Je ne suis jamais allé aussi bas : j’ai déjà passé le 60° Nord, mais là je ne connais pas. Il y a des lumières superbes dans mon Sud : on sent qu’on est dans une zone extrême. L’Antarctique n’est pas loin, le Horn approche et la sortie du tunnel s’aperçoit ! Le moral remonte à la surface parce qu’on sait que c’est la fin d’un gros morceau : c’est bientôt la sortie des hautes latitudes. Et ce qui est bien, c’est que les conditions pour rejoindre le Cap Horn sont plutôt bonnes.

Je sais que Yannick (Bestaven) et Charlie (Dalin) ont eu des conditions difficiles. Pour nous, cela sera plus facile même s’il restera un peu de vent et de la mer, ça reste maniable. Je suis content d’en finir avec ce Sud qui a été compliqué pour moi. Et je ne sais pas encore si j’ai trouvé ce que j’étais venu chercher : les longues houles… Je devrais passer le Horn en milieu de soirée, vers minuit.

Je ne suis pas du bon côté pour les foils en ce moment et je m’aperçois que j’ai fait (malheureusement) beaucoup de tribord amures dans les mers du Sud. La différence est sensible d’un bord à l’autre : le bateau démarre moins vite, le foil pousse moins fort. La carène et le jeu de voiles sont conçus autour d’un foil ! À certaines allures, je dois charger plus le bateau, à d’autres le charger moins… J’ai un bon moral en bâbord amures et il est moins bon en tribord amures…

J’ai deux jours avec pas mal de bâbord, c’est pas mal. D’abord j’aurai un bateau à 100%, et quand on est compétiteur, c’est agréable ! Je me suis fait une raison. J’ai regardé les possibilités tactiques jusqu’à Rio de Janeiro : il y a plusieurs routes possibles ! Ça va créer du match parce que tous les bateaux n’ont pas le même potentiel. J’attends avec impatience les prochains fichiers météo.

Boris Herrmann, SeaExplorer – Yacht Club de Monaco 

Je suis dans du vent d’Ouest et ça va assez vite. J’ai des foils version 2020, les mêmes que ceux d’Isabelle Joschke. Mais ce n’est pas vraiment le moment d’utiliser les foils parce qu’il y a pas mal de mer. De temps en temps, j’accélère et là, ça foile ! En fait, je ne sais pas trop comment faire avancer le bateau au VMG portant ici : je sais bien le faire en Atlantique, dans les conditions que je connais, mais la mer est plus marquée, la houle est grosse dans le Pacifique. Ce n’est pas pareil et je me trouve un peu lent. Le Cap Horn n’est plus qu’à 550 milles maximum : j’ai hâte d’y être ! On va se croiser entre nous alors on se suit à l’AIS… C’est un peu une bataille d’empannages.

Je devrais déborder le Cap Horn d’ici lundi soir : je vais entrer dans l’Atlantique et il y a deux routes au moins possibles. La première passe par le détroit de Le Maire avec peu de mer et l’autre par le large en laissant les Falkland à bâbord.

Ce sera mon cinquième Cap Horn ! Je crois qu’il n’y a que Jean Le Cam qui en a plus…

CLASSEMENT à 18:00 (heure française)

  1. Yannick Bestaven, Maître CoQ IV, à 6 815,71 milles de l’arrivée
  2. Charlie Dalin, Apivia, à 68,48 milles du leadefrançais
  3. Thomas Ruyant, LinkedOut, à 357,91 milles du leader
  4. Damien Seguin, Groupe APICIL, à 359,9 milles du leader
  5. Benjamin Dutreux, Omia – Water Family, à 553,27 milles du leader

Crédit Photo : C.Dalin

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