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VG2020 : destins croisés

Aujourd’hui, entre le sort de Jérémie Beyou et celui d’Alex Thomson, il y a un monde. Le premier voit ses rêves de victoire lui échapper. Le second est dans le groupe de tête. Concurrents sur l’eau, les solitaires du Vendée Globe sont aussi des frères d’armes, solidaires dans le mal. Dans le Nord-Est des Açores, alors que la flotte file au portant à la rencontre d’une grosse dépression tropicale, le demi-tour d’un des grands favoris de la course fait une ombre au tableau.

JÉRÉMIE BEYOU SONNÉ

« Je me réveille de quatre ans de préparation pour essayer de gagner le Vendée et ça, c’est fini (…). Forcément, ça m’éclate un peu à la figure. Là, je ramène le bateau et je verrai après. Je ne sais pas si je pourrai repartir. » C’est un Jérémie Beyou sonné par la déception qui s’est exprimé ce matin en visio. Au portant, bâbord amures – pour préserver le gréement dépourvu de bastaque tribord –, le bateau noir parcourt à l’inverse le chemin emprunté à l’aller. Un crève-cœur pour ce grand favori et ce grand compétiteur porté par le désir de gagner la course. Charal devrait arriver dans le port des Sables d’Olonne samedi matin. L’évaluation des dégâts (voir les explications du skipper plus bas) débutera dès lors. Jérémie ne sait pas encore s’il pourra reprendre la mer. Il a jusqu’au mercredi 18 novembre 14h20 pour franchir à nouveau la ligne de départ. « Aucun de nous ne souhaite à personne ce qui arrive à Jérémie », déclarait un des leaders Alex Thomson.

THOMSON ET LE CAM EN GRANDE FORME

Pendant que Jérémie Beyou poursuit son chemin de croix vers le port de départ, la flotte continue de progresser sous l’influence d’une dépression peu active située dans le Nord-Est des Açores. Situation inédite sur un Vendée Globe, l’archipel portugais est sur la trajectoire des marins qui apercevront certainement cette nuit les lumières de Sao Miguel ou de Santa Maria. Certains passeront-ils entre ces deux îles ? A priori, il s’agira plutôt d’empanner dans ce vent portant pour parer les dévents, mais qui sait si LinkedOut et Apivia ne joueront pas au chat et à la souris entre les îlots rocheux de Formigas ?

Au Nord de la carte, ces deux-là forment un duo inséparable depuis qu’ils se sont croisés la nuit dernière, suivis à distance par PRB. Une quarantaine de milles sous leur vent, l’étrave noire de HUGO BOSS a pris cet après-midi les commandes de la course. « Busy, crazy night for all of us : une nuit folle et intense pour nous tous. On a passé notre temps à empanner et à changer de voiles », a confié Alex Thomson à la vacation ce jeudi matin. « On est tous fatigués, il faut que j’aille dormir parce qu’il est très facile de faire des bêtises ». Le Britannique n’en a pas fait beaucoup pour l’instant. Sur sa trajectoire, se sont alignés CORUM-L’EPARGNE, Initiatives-Cœur et ARKEA-PAPREC. Mais les groupes Dalin et Thomson, décalés à l’ouest de la dépression, ne bénéficient pas ce soir du vent portant le plus fort. La situation continue de profiter aux hommes de l’Est, à commencer par un Jean Le Cam très en forme, nouveau patron des IMOCA à dérives et 1er au classement de 18h00 !

JOURNÉE BRICOLE

La situation météo et l’obligation d’aborder les dépressions du bon côté (par le Nord puis l’Ouest pour pouvoir glisser au portant) est en train de contraindre la flotte à s’aligner. Les écarts en longitude sont en train de se transformer en écarts en latitude, et plus de 300 milles séparent désormais les premiers des derniers. En queue de peloton, en dehors de Fabrice Amedeo qui flirte avec les côtes du nord de l’Espagne, Sébastien Destremau a vécu des heures houleuses. Cette nuit, il s’est écroulé de sommeil et a passé plusieurs heures endormi à l’intérieur du bateau, en sens inverse de la route. Sa journée, il l’a ensuite passée à bricoler sur le pont et à grimper au mât pour démêler des drisses entortillées. La liste des petits soucis techniques s’allonge à mesure que les marins vérifient l’état de leur monture. Maxime Sorel est lui aussi monté au mât pour récupérer une drisse. Même sanction pour Louis Burton qui, en plus de son ascension, a dû éponger des litres d’huile (provenant de son vérin de quille) déversée à l’intérieur de son bateau avant d’empoigner la meuleuse pour réparer une petite fissure sur une cloison.

Veiller à l’état du matériel est un impératif. Car demain matin, il faudra aborder la grosse dépression tropicale qui leur barre la route.

THÊTA, 29eDÉPRESSION TROPICALE DE L’ANNÉE

Elle est au centre des préoccupations des marins. C’est une grosse boule rouge posée en plein milieu de la cartographie. Un boulet de canon. Les solitaires vont devoir épouser sa courbure, par l’Ouest, en effleurant de loin ses formes généreuses. Ceux qui s’y frottent de trop près pourraient être sévèrement sanctionnés. Car cette dépression subtropicale recèle en son sein des vents de 50 à 60 nœuds et fait lever des collines liquides de 6 mètres. C’est Thêta. Et c’est la 29edépression tropicale de l’année, soit un record puisqu’on n’a jamais observé autant de phénomènes de ce type les années précédentes. Pour la petite histoire, les dépressions tropicales et subtropicales portent comme nom les lettres de l’alphabet. D’abord 21 lettres issues de l’alphabet latin, puis, lorsque toutes sont épuisées, on passe à l’alphabet grec. Thêta est la 8e.

Ils ont dit

Jérémie Beyou, Charal

« Il y a pire quand on pense aux événements qui nous entourent. Maintenant, quand tu es sportif de haut niveau, tu ne vis qu’au travers de ton objectif. Depuis 4 ans, je vis dans l’objectif d’essayer de gagner le Vendée Globe. Je suis à 100% là-dedans, je ne vois rien de ce qui existe autour. Quand ça s’arrête comme ça, brutalement, c’est super violent. C’est pour ça que j‘ai mis tant de temps à faire demi-tour, j’aurais probablement dû faire demi-tour tout de suite, parce qu’aller passer le front avec le bateau dans cet état, forcément, ça a fait d’autres dommages collatéraux, mais je ne pouvais pas y croire. Le réveil est un peu dur.

Un peu plus tôt dans la journée, quand le vent n’était pas encore trop fort, j’ai arraché ma cadène de renvoi de point d’écoute de voiles d’avant ; ça a explosé la cloison de barre d’écoute… Ça a déchiré le pont à tribord et puis pendant que j’étais à l’intérieur du bateau en train d’inspecter tout ça, j’ai tapé un truc avec le safran. Il s’est à demi relevé ; j’ai un trou dans l’attaque de safran et j’ai le bord de fuite de safran qui est cassé. Le vent fort arrivait, donc soit je faisais demi-tour tout de suite, soit je continuais. On a décidé avec l’équipe que le safran allait tenir, et je me suis débrouillé pour brêler une écoute. Le front est passé, c’est passé hyper vite. On est passé de 45 nœuds d’un bord à 45 nœuds de l’autre. J’ai empanné, j’ai pris la bastaque et avec tous les éclats de carbone, ça a fait exploser le courant de bastaque… et je me suis retrouvé sans bastaque. Je venais de casser mon aérien juste quelques heures avant. La bastaque, c’était le dernier truc. J’ai dû abattre et puis faire route retour.

Là il y a toujours de la mer, je suis au portant dans une quinzaine de nœuds avec la mer de derrière, donc ça va. De l’autre côté, bâbord amures, le safran commence à être bien abîmé, je ne peux pas aller très vite. Je pense arriver le 14 au matin. Pour la suite, je ne sais pas… Le safran, ça peut peut-être changé, la barre d’écoute et la cloison, j’avoue que je ne sais pas trop. Honnêtement, je me réveille de 4 ans de préparation pour essayer de gagner le Vendée et ça c’est fini. Mon papa est parti à l’hôpital, il a fait un AVC une semaine avant le départ, j’ai complètement occulté tout ça. Forcément là, ça m’éclate un peu à la figure. Là, je ramène le bateau et je verrai après. Je ne sais pas, je n’en sais rien pour repartir. « 

Charlie Dalin, Apivia 

« Je suis content de m’être extirpé de la dorsale hier et content de mon placement, ni trop Nord, ni trop Sud. Là, on est en train de contourner une petite dépression qui se forme sur le front. On la contourne par le Nord. Nous sommes quatre bateaux au même endroit. Il y a un peu plus de vent de prévu, ça avance vite là.

À l’horizon se profile Thêta, la dépression tropicale qui est très forte. Ce sera le dernier gros obstacle à gérer avant d’aller goûter à l’alizé.

J’étais leader dans le groupe de tête hier soir et une partie de la nuit. Tant mieux ! Cela veut dire que les choses se passent bien pour moi. Pour l’instant, je n’ai pas beaucoup de soucis et j’espère que je ne vais pas en avoir en le disant. Pourvu que ça dure ! J’essaie de trouver mon rythme entre avancer vite et préserver le bateau, décomposer les manœuvres pour éviter les risques. Depuis le début, on est dans des conditions particulières, on n’a pas encore pu exploiter le potentiel des foilers. J’espère qu’une fois que Thêta sera passée, on pourra profiter de conditions plus propices pour nos bateaux à foils. Là, je suis en permanence à me restreindre, à freiner pour ménager mon bateau, mais aussi me ménager moi parce que c’est long, le Vendée Globe ! Mais je n’ai pas les deux pieds sur le frein pour autant. À propos de l’avarie de Jérémie Beyou, je suis bien placé pour connaître l’engagement que nos projets impliquent pour le skipper, l’équipe, les partenaires… Ce sont des années de travail, de réflexion et c’est sûr que c’est quelque chose qu’on ne peut souhaiter à personne. Ça m’a mis une boule dans le ventre quand j’ai appris la nouvelle. Je suis vraiment de tout cœur avec Jérémie et son équipe.« 

Pip Hare, Medallia

« Tout va bien sur Medallia, nous avons actuellement 10 nœuds de vent, une mer plate, et avons passé toute la nuit à lutter avec La Mie Câline – Artisans Artipôle, qui a finalement pris le dessus. La journée d’hier a été difficile, je n’ai pas arrêté. J’ai eu jusqu’à 50 nœuds vers 7 heures hier matin, le changement a été brutal. L’état de la mer après le front était horrible. Il faut environ une heure pour vider le ballast de l’étrave de Medallia. Les vagues étaient grosses, elles se brisaient en venant d’angles étranges, mais nous les avons toutes traversées. Nous n’avions pas assez de toile à l’avant – ce qui signifie que chaque fois que j’essayais de faire quoi que ce soit sur le pont, j’avais constamment affaire à d’énormes murs d’eau. Ils ont également rempli le cockpit à plusieurs reprises.

Nous nous en sommes assez bien sortis. J’ai quelques dégâts sur la galette d’enrouleur, qui sont superficiels, le cordage du J3 est abîmé, je vais devoir faire de la couture aujourd’hui. Il y avait des bruits bizarres venant de l’arrière du bateau, et j’ai découvert qu’un des quadrants de safrans s’était desserré, alors j’ai dû m’y mettre. Je pense que ce sera un travail hebdomadaire. Le ballast fuit, ce qui n’est pas grave, c’est juste plus de travail pour moi. Finalement, quand tout a été vérifié et changé, et que le bateau était à nouveau dans une bonne configuration pour les conditions, je me suis installée pour dormir. J’ai pris note des avertissements concernant la dépression tropicale Thêta. Elle est juste sur notre chemin. Le plus délicat sera de négocier ce qui se passera ensuite car elle semble avoir aspiré tout le vent des zones environnantes.« 

Clément Giraud, Jiliti/La Compagnie du Lit

« Ça se passe plutôt bien côté vie à bord après les petites galères de départ de course. Je suis super content d’être là. J’ai eu mon petit lot de galères, des petits trucs comme des élastiques de chariot de grand-voile qui ont pété avant le front. J’ai préféré me décaler dans le Sud. J’ai quand même fait deux virements dans 35 nœuds, c’était velu ! Hier soir, j’ai presque fait tomber à l’eau mon grand gennaker, c’était un peu la galère. Là, le vent remonte, c’est impressionnant ce qu’il y a devant nous. On va essayer de contourner la dépression tropicale pour ne pas faire de bêtises.

Je suis concentré, je n’ai pas eu vraiment l’habitude de bosser la météo en mer, j’apprends vachement de choses, je passe énormément de temps à la table à cartes. Je suis en apprentissage coté météo, mais je commence à saisir des trucs, je prends mon pied. Je vais contourner vraiment franco la dépression qui arrive. La priorité, c’est de ne pas mettre le bateau ni le bonhomme en stress.« 

CLASSEMENT18h00 (heure française)
 
1. Jean Le Cam – Yes We Cam! à 23 439.3 milles de l’arrivée
2. Alex Thomson – HUGO BOSS à 9.23 milles du leader
3. Benjamin Dutreux – OMIA – WATER FAMILY à 12.49 milles du leader
4. Nicolas Troussel – CORUM L’EPARGNE à 28.14 milles du leader
5. Charlie Dalin – Apivia à 30.32 milles du leader

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– CP –

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