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VG2020 : l’ascenseur émotionnel

Sébastien Simon abattu, accablé par un sentiment d’injustice et par l’ampleur des travaux qu’il aurait à réaliser dans un futur aléatoire. Sam Davies, des sanglots dans la voix, choquée par son arrêt buffet brutal hier à la tombée de la nuit et par les dommages causés autour de la quille de son bateau. Ces deux navigateurs qui étaient jusque-là parfaitement dans le match (ARKÉA PAPREC était encore 4e mercredi matin et Initiatives-Cœur 11e) sont aujourd’hui en situation d’attente au grand large du Cap de Bonne-Espérance, confrontés à des questions auxquelles ils n’ont pas encore de réponse : Vais-je pouvoir réparer ? Vais-je pouvoir continuer ?

Grand marin avant d’être directeur de course du Vendée Globe, Jacques Caraës imagine la tempête émotionnelle qui ébranle aujourd’hui les deux skippers. Il explique : «  En règle générale, quand tu arrives à la porte de l’océan Indien, tu passes dans un autre monde, dans un autre mode. Tu es davantage sur la réserve, dans une attitude plus conservatrice. Alors si tu entres là-dedans avec une avarie structurelle, ça te fout par terre, ça te fusille le moral. Parce que le Grand Sud, c’est un long tunnel, il n’y a pas d’autre solution que d’aller au bout. Et la sortie, c’est le Cap Horn (après plus de 10 000 milles parcourus dans l’Indien et le Pacifique, ndlr). Il n’y a pas trop d’échappatoire, pas vraiment de port d’escale… Psychologiquement, dans ces circonstances, c’est dur ».

Hauts et bas

A ce stade de la course, la fatigue s’est aussi nichée profondément dans les organismes. Après 25 jours de mer, 25 jours à dormir peu, manger mal, se trimballer à quatre pattes lorsque le bateau tape trop, à vérifier son matériel, réparer au quotidien, entendre les mauvaises nouvelles des copains… les marins sont à fleur de peau. Pas seulement ceux qui entrent dans le vaste désert maritime du Grand Sud. Mais à tous les échelons du parcours et du classement. Dans une vidéo envoyée ce jour, Jérémie Beyou évoquait, la mine défaite, sa progression erratique dans les grains et les vents faibles au large du Brésil. Pour le skipper de Charal reparti 9 jours après ses camarades, c’est la double peine.

Mais cet ascenseur émotionnel dans lequel sont embarqués les 31 concurrents du Vendée Globe est aussi puissant dans l’autre sens. Dans un de ces textes beaux et sensibles, Armel Tripon s’émeut à la vue du premier albatros de sa vie, venu lui ouvrir les portes du « royaume des ombres ». De son côté, Arnaud Boissières savourait les surfs de son bateau glissant à belle vitesse sur une mer encore maniable et s’émerveillait devant la lumière bleutée de l’aube naissante dans les 40e rugissants…

Surf sur les isobares

Au delà des plaisirs contemplatifs et des états d’âmes, la course continue. En tête, elle est menée tambour battant par un groupe de 15 bateaux qui surfent sur les isobares du vaste système dépressionnaire qui va les emmener jusqu’aux Kerguelen.

Entre Charlie Dalin qui entame son 10e jour de course en tête et la 15e Clarisse Cremer, il y a certes 1 000 milles – soit presque deux journées et demi d’écart –. Tous ne naviguent pas du même côté de cette dépression, mais l’objectif est de continuer à se laisser porter par ces vents forts mais favorables le plus longtemps possible. Tout en préservant l’intégrité de son bateau.

Sainte-Hélène, priez pour eux

Comme pour donner la réplique à cet immense ventilateur austral, l’anticyclone de Sainte-Hélène est en train de s’étaler en largeur, du milieu de l’Atlantique Sud, jusque dans l’océan Indien, et en longueur bien au dessous des 45° sud ! Son contournement concerne toute la deuxième moitié de la flotte. Or ces hautes pressions tentaculaires pourraient prendre au piège plusieurs groupes de bateaux qui n’auront pas d’échappatoire, car bloqués au sud par la Zone d’Exclusion Antarctique (ZEA). Des écarts vont se creuser inexorablement entre ceux qui auront réussi à attraper le premier train de dépressions et les poursuivants. C’est là tout l’enjeu pour le groupe intermédiaire, de Stéphane Le Diraison à Pip Hare.

Une possibilité de récupération pour Kévin Escoffier

Enfin, le Nivôse – frégate de la Marine nationale chargée, entre autre, de la surveillance des pêches dans l’océan Indien – a le feu vert de sa hiérarchie pour une récupération éventuelle du skipper de PRB. De son côté, la direction de course du Vendée Globe est en contact avec Jean Le Cam pour considérer la possibilité d’un point de rencontre avec le Nivôse autour du 6 décembre dans le Nord-Est des îles Crozet. Si, pour de multiples raisons, le débarquement de Kévin s’avérait trop risqué ou compliqué, alors, il faudrait attendre le passage dans le sud de la Nouvelle-Zélande.

Ils ont dit

Sébastien Simon, ARKÉA PAPREC 

Je suis un peu dépité, dégouté. J’ai envie de terminer ce tour du monde, je ne pense pas mériter ça, je trouve que c’est une injustice incroyable. Le foil est endommagé mais la partie structurante du foil n’est pas cassée. Je ne peux pas l’utiliser tel quel. Le foil a endommagé la partie basse du puits de foil qui est désolidarisée du bateau et fait entrer de l’eau. Le seul moyen de réparer ça, c’est de découper le foil en morceaux. Le foil fait quand même pas loin de 300 kilos et je ne peux pas le découper par l’extérieur. Pour réussir à réparer ça je suis obligé de découper le foil en morceaux et ensuite d’aller boucher le puits par l’extérieur et par l’intérieur. Il faut que je me penche à l’extérieur du bateau, mais pour ça il me faut des conditions de mer stables, or ce n’est pas le cas aujourd’hui, ni dans 12 heures, ni dans 24 heures d’ailleurs. Je suis donc obligé de me rapprocher d’une terre. En plus de ça, j’ai une cloison qui est endommagée derrière, sous le cockpit. Je ne sais pas si c’est lié, si c’est un dommage collatéral ou pas. Je m’en suis rendu compte en allant vider de l’eau. Je sais que la veille cette cloison n’était pas cassée, et qu’aujourd’hui elle l’est. Et comme les emmerdes n’arrivent jamais seules, j’ai le soufflet de palonnier de safran qui est déchiré. Du coup, toutes les deux heures, je suis obligé d’aller pomper pendant 40 minutes sous le plancher de cockpit, qui est un endroit pas du tout agréable.

Armel Tripon, L’Occitane en Provence

Hier matin aux portes du Sud par 42 ° 38 N et 11 09 W, je sors sur le pont prendre un ris, scrute l’horizon, à l’affut et là, soudain sous le vent, à ma hauteur, je l’aperçois, noble et majestueux, dans son vol plané, comme suspendu. Il m’accueille, m’ouvre les portes de son royaume, je croise le regard de mon premier albatros. Quelle joie, je ris seul, m’émeus de cette première rencontre tant attendue et symbolique. J’ai vu le premier albatros de ma vie, ce n’est plus une image, un rêve, une lecture, non, je partage quelques instants son vol puis revient très vite finir ma manœuvre… L’escorte n’aura duré que quelques instants mais cette rencontre magique scelle mon voyage dans le grand Sud de la plus belle des manières.

Sam Davies, Initiatives-Cœur 

J’avais empanné derrière le front, il y avait 30 nœuds de vent. J’avançais entre 15 et 22 nœuds sur une mer compliquée. J’ai tapé comme si je talonnais un rocher : je me suis arrêtée net. Il y avait des craquements. J’ai volé, tout dans le bateau a volé, y compris mon dîner. C’était violent, je me suis fait mal. J’ai tout affalé tout de suite pour arrêter le bateau. J’ai tapé un OFNI, je ne sais pas ce que c’était. Je suis allée directement regarder tout autour de la quille, je savais tout de suite que ce n’était pas le foil mais la quille.

Les paliers, ça va, les cloisons de chaque palier avant et arrière, ça va. Par contre, toutes les cloisons longitudinales dans le puits de quille sont fissurées. C’est là que le choc a été amorti. J’ai fait des vérifications, j’ai l’équipe à terre en standby qui travaille avec les architectes. Là, je dois me mettre à l’abri, j’avance vers Cape Town très doucement. J’ai le tourmentin, je suis au portant mais il y a pas mal de mer. Je suis à 310 milles du Cap de Bonne-Esperance.

C’est arrivé à la tombée de la nuit : c’est toujours pareil, c’est toujours à ce moment-là les galères ! Ensuite j’étais dans la nuit noire pour tout contrôler. C’était la même chose quand j’avais démâté, c’était au milieu de la nuit (Sam Davies avait démâté sur le Vendée Globe 2012/2013). J’ai fait ce que je pouvais, dans 30 nœuds de vent, dans une mer énorme. La priorité c’était de stabiliser le bateau et de le mettre sur un cap où il est le moins sollicité possible.

J’ai fait des contrôles avec l’équipe. Le choc a déplacé le soufflet de vérin de quille qui fait l’étanchéité entre le puits de quille et le vérin. Du coup, je prenais l’eau. La priorité, c’était donc de gérer ça, c’était un peu fissuré sur les joints. Au début, j’ai mis en route la pompe d’immersion – qui est géniale d’ailleurs – je l’ai mise en route directement pour vider l’eau qui entrait par le puits de quille. C’était le plus important. J’ai volé dans le bateau mais j’ai eu de la chance parce que ça aurait pu être pire, mais j’ai mal aux côtes.

 Isabelle Joschke, MACSF 

La mer change assez vite ici ! Hier soir après l’empannage, c’était très difficile et j’avoue que je ne savais plus comment faire avancer mon bateau… MACSF enfournait tout le temps, mais cela semble normal en arrière du front. Maintenant, c’est plus maniable mais ce n’est pas évident. Mais le bateau va vite : hier, j’ai fait une très belle journée avant l’empannage et j’étais contente car la mer était parfaite. C’est vrai que ça va vite en ce moment aussi : c’est impressionnant !

Ce n’est pas facile à vivre à l’intérieur : ça coûte en termes de confort ! Il faut que je fasse attention à ne pas me cogner, mais j’en profite d’aller vite dans du vent. On va vers du mieux et c’est plutôt chouette. Mais les mers du Sud, c’est particulier : hier, j’étais toute contente d’arriver dans l’océan Indien, mais j’ai eu l’impression d’être « cueillie » dans quelque chose de très compliqué, particulièrement au passage du front. Je me suis dit que l’océan Indien n’était pas une mer facile : je découvre des éléments qui sont totalement nouveaux pour moi.

À bord, ce n’est pas simple ! Le bateau a des accélérations incroyables, et des fois, il ralentit comme s’il attendait une vague et je ne sais alors pas trop quoi faire… C’est difficile de se déplacer dans le bateau : pour transporter un objet, on a besoin d’une main et souvent, il en faut deux pour se tenir. Déjà de faire le minimum vital, ça me coûte de l’énergie ! Et quand ça se calme, j’en profite pour faire des trucs que je dois impérativement faire : manger, ranger, bricoler… C’est compliqué de manger et de se déplacer, mais dormir, ça va.

Arnaud Boissières, La Mie Câline-Artisans Artipôle 

C’est chouette : on a de superbes conditions pour aller vite. On prend des vagues en surf même si cela commence à mollir depuis une heure. C’est agréable d’afficher de belles vitesses ! J’essaye de tenir la cadence pour ne pas me faire dépasser par le front et puis j’ai un lièvre (Armel Tripon) qui va vraiment vite aussi sous mon vent. Il y a 25 à 30 nœuds et la mer est très praticable : je devrais descendre vers la ZEA et ce front devrait m’amener assez loin, mais pas jusqu’au Cap Horn quand même !

J’ai réussi à réduire l’écart sur Stéphane Le Diraison et Alan Roura et 500 milles dans les mers du Sud, ce n’est pas énorme. J’essaye de ne pas m’endormir car ce front va vraiment nous aider à revenir sur la flotte. Les foils font du bruit, mais quand ça siffle, cela veut aussi dire que je vais vite : ça ne me gêne pas trop… En début de nuit, ça tapait un peu mais là, il n’y a pas de grosse mer et c’est vraiment agréable.

La vie à bord n’est pas « normale », mais on arrive quand même à dormir et à manger et je bois beaucoup. En revanche, il faut se déplacer à quatre pattes ! Ce ne sont que les prémices des mers du Sud : il va faire jour dans un gris bleuté, avec un peu de fraîcheur et déjà il y a beaucoup d’oiseaux dans le sillage… Le paysage est vraiment magnifique : je savoure.

CLASSEMENT à 18h00 Heure Française

1. Charlie Dalin, Apivia, à 16 657.7 milles de l’arrivée
2. Louis Burton, Bureau Vallée 2, à 148.69 milles du leader
3. Thomas Ruyant, LinkedOut, à 202.73 milles du leader
4. Damien Seguin, Groupe APICIL, à 374.36 milles du leader
5. Yannick Bestaven, Maître CoQ IV, à 387.34 milles du leader

Crédit Photo : Vincent Curutchet

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– CP –

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